Le signal envoyé par les marchés financiers est sans équivoque : avec un spread de CDS à 1 077 points de base, soit près de 11 % de prime annuelle exigée pour assurer la dette sénégalaise, le pays est perçu comme présentant un risque de défaut exceptionnellement élevé. Dans le langage des investisseurs, le Sénégal rejoint alors la catégorie des économies au bord de la faillite. Ce niveau de risque a une conséquence immédiate : l’accès aux marchés internationaux se ferme, car emprunter à de tels taux reviendrait à aggraver mécaniquement un endettement déjà considéré comme insoutenable.
Cette situation n’est pas le fruit d’une seule erreur mais celui d’une convergence de facteurs. L’héritage de la « dette cachée », qui porte le ratio d’endettement à près de 119 % du PIB, a profondément affecté la crédibilité de l’État. S’ajoutent des tensions politiques et sociales récentes, un contexte régional miné par l’instabilité sahélienne et une conjoncture internationale défavorable, marquée par la hausse mondiale des taux et un resserrement de la liquidité. C’est cette combinaison explosive — et non la seule restructuration discutée avec le FMI — qui a plongé le pays dans une crise de confiance aiguë.
Les conséquences se font déjà sentir dans l’économie réelle. L’État, étranglé, ne peut plus financer son déficit à des conditions viables, ce qui impose une contraction brutale des dépenses publiques, au détriment des infrastructures, de la santé, de l’éducation ou de la sécurité. Le secteur privé souffre à son tour : lorsque le risque souverain flambe, les banques répercutent ces tensions sur le coût du crédit, étouffant l’investissement et l’emploi. La perception dégradée du franc CFA contribue à renchérir les importations et alimente l’inflation, tandis que le pays se retrouve progressivement contraint de se tourner vers les bailleurs internationaux, au prix d’une perte de marge de manœuvre dans ses politiques économiques.
Pour autant, cette situation délicate n’est pas sans issue. La stratégie esquissée dans l’analyse du Dr Seydina Omar Seye met en lumière les leviers qui peuvent enclencher un redressement durable. La priorité absolue est la restauration de la confiance par une transparence totale : audit des dettes, publication des contrats, communication lisible et régulière. C’est sur cette base que peut se reconstruire une crédibilité essentielle. Le pays doit parallèlement élargir son assiette fiscale de manière juste et efficace, en intégrant notamment les circuits informels comme le mobile money ou le foncier, à condition que ces mesures soient accompagnées d’un effort pédagogique démontrant qu’il s’agit d’investir dans les services publics.
La future manne pétrolière et gazière représente un tournant majeur, mais seulement si elle est utilisée avec prudence. La leçon du Ghana est claire : les recettes d’hydrocarbures ne doivent pas financer les dépenses courantes. Elles doivent plutôt alimenter un fonds souverain transparent permettant à la fois de réduire la dette; en rachetant une partie de celle-ci à un prix décoté, et d’investir dans les infrastructures, l’énergie, le numérique et le capital humain pour préparer l’après-pétrole.
Sur le plan externe, le Sénégal a intérêt à engager rapidement des discussions pour un rééchelonnement ou un effacement partiel de sa dette. Loin d’être un aveu d’échec, une telle démarche constitue souvent le seul moyen d’éviter une crise plus profonde et de redonner de l’oxygène à l’économie. Un programme avec le FMI, malgré ses contraintes, peut également jouer un rôle de signal positif, améliorant la crédibilité du pays et facilitant l’accès à des financements concessionnels. À plus long terme, un renforcement de l’intégration financière au sein de l’UEMOA pourrait offrir des alternatives de financement moins dépendantes des cycles de confiance internationaux.
La situation est donc grave, mais elle n’est pas irrémédiable. Le spread à 1 077 points de base reflète une défiance extrême, mais les instruments pour inverser la tendance sont connus : transparence, discipline budgétaire, élargissement de l’assiette fiscale, gestion rigoureuse des ressources pétrolières, restructuration intelligente de la dette et partenariat stratégique avec les institutions internationales. Le Sénégal se trouve à un point de bascule historique. En choisissant la voie de la rigueur, de la clarté et de la vision à long terme, le pays peut transformer cette crise en un moment fondateur, comme d’autres nations l’ont fait avant lui.
Emedia







