Comment concilier accès et droit à l’information avec l’épineuse question de la protection des données à caractère personnel ? C’est le dilemme de beaucoup de journalistes sénégalais devant le vide juridique qui existe encore dans la législation sur l’accès universel à l’information, que l’État tarde à ratifier.
La loi pour l’accès universel à l’information permet à un citoyen sénégalais ou à toute personne présente sur le sol sénégalais d’accéder aux documents assujettis à la loi. Par ailleurs, la loi pour l’accès universel à l’information pourrait améliorer les conditions d’exercice du métier de journaliste, notamment le journalisme d’investigation. Mais, il tarde à être adopté au Sénégal. Selon le juriste Matar Sall, enseignant à la faculté des sciences juridiques et politiques de l’université Cheikh Anta Diop (UCAD) de Dakar, membre du comité de pilotage pour la rédaction et l’adoption de cette loi, il s’agit d’une loi de portée continentale africaine, adoptée de manière consensuelle par les pays africains, mais que des États hésitent à ratifier. Le Sénégal figure au nombre de ces pays récalcitrants. Il en est ainsi depuis 2019. La première mouture n’est pas encore passée à l’étape du Conseil des ministres a fortiori d’être adoptée. A en croire Matar Sall, un travail a été effectué d’arrache-pied par la Coalition nationale ayant regroupé des organismes comme le Forum civil, l’Institut Panos, Article 19… Lors de la Journée mondiale pour l’accès à l’information, célébrée le 28 septembre, la représentante de l’ONG britannique de défense de la liberté d’expression, Article 19, avait appelé le gouvernement du Sénégal à se doter d’une loi consacrant le droit à l’accès à l’information. « Il appartient donc à l’État et aux administrations de veiller (au) respect de cette loi, notamment en matière d’accès aux documents publics », disait-elle.
Élément clef pour le journalisme d’investigation
Les journalistes, à l’unanimité, invitent les autorités sénégalaises à mettre sur pied des mécanismes pour l’adoption de cette loi. Cela, disent-ils, leur permettra de mieux avancer dans leurs enquêtes ou investigations. C’est justement pour accélérer l’adoption de ladite loi que des organisations de journalistes invitent la société civile, membre de la Commission nationale d’accès à l’information, à saisir officiellement le ministre de la Justice “aux fins de transmission de la dernière version de l’avant-projet de loi relatif à l’accès à l’information”. Lors d’une rencontre, initiée par la Convention des jeunes reporters du Sénégal (CJRS) et le Syndicat des professionnels de l’information et de la communication sociale (SYNPICS), en partenariat avec la Fondation Friedrich Ebert sur ce projet, les participants ont constaté des lenteurs dans l’adoption de ce texte et le déficit d’informations officielles sur l’état d’avancement du processus qui avait pourtant la particularité d’être très inclusif. « Ils ont rappelé l’importance pour le Sénégal de disposer d’une loi sur l’accès à l’information conforme à la loi type de l’Union africaine et l’importance d’une telle loi pour les citoyens particulièrement, le journaliste », indiquent les acteurs.
Toutefois, ils ont recommandé aux organisations de la Société civile membres de la Commission nationale d’Accès à l’information, notamment celles qui ont initié le processus de saisir officiellement le ministre de la Justice aux fins de transmission de la dernière version de l’avant-projet de loi relative à l’accès à l’information.
Néanmoins, on se pose la question de savoir si l’accès à l’information ne viole pas la loi sur la protection des données à caractère personnel ?
Le Sénégal , pionnier en Afrique dans la législation sur la protection des données
Pour répondre à cette question, on s’est intéressé également au contenu de ladite loi. En effet, le Sénégal fait partie des premiers pays africains à avoir voté une loi sur la protection des données depuis 2008. Il est également l’un des rares pays africains à signer la convention de Malabo de 2014 (23ème session ordinaire du sommet de l’UA). Cet accord entre les pays membres vise à renforcer la « confiance et la sécurité dans le cyberespace en Afrique ». Notre pays s’est engagé en la signant, à mettre en place une institution pour veiller à sa rigoureuse application. D’où l’érection de la CDP : Commission de Protection des Données Personnelles du Sénégal.
De nos jours, tous les Sénégalais sont exposés au numérique. La preuve ? On constate quotidiennement des procès au palais de justice de Dakar ou dans les autres tribunaux sur des cas de diffusion de données à caractère personnel. Pourtant, la protection des données personnelles est un droit pour tout citoyen et une responsabilité de l’État. C’est sur ces entrefaites que l’Assemblée nationale a adopté la loi sur la protection des données à caractère personnel lors de sa séance du vendredi 30 novembre 2007. Et le Sénat l’a adopté, le mardi 15 janvier 2008. Le 25 janvier 2008, une commission pour le respect de cette loi a été mise sur pied : Commission de Protection des Données Personnelles du Sénégal. Cette autorité indépendante (CPD) est promulguée par la loi n° 2008-12. Son principal but est de veiller à la légalité de toute collecte et transmission de fichiers ou renseignements concernant des personnes identifiables. C’est-à-dire veiller sur les données permettant d’identifier la personne concernée. La loi assure, en d’autres mots, le respect des libertés et droits fondamentaux de la vie privée des personnes.
Auteur d’un livre sur la protection des données à caractère personnel en Afrique, le Dr Mouhammad Lô soutient : « Les données sont à caractère personnel dès qu’elles portent sur une personne identifiée ou la rendent identifiable directement comme indirectement ». Juriste du droit numérique, également auteur d’une thèse sur l’Administration électronique et le droit public à l’Université de Paris I Sorbonne et rédacteur de la loi sénégalaise sur la protection des données à caractère personnel, il explique dans son livre « en quoi il est important que ceux qui utilisent et ceux qui fournissent ces données aient une référence de la réglementation et de la régulation en cours ».
Depuis l’entrée en vigueur de cette loi, il est devenu préférable de faire attention à toute information que l’on communique sur une tierce personne. Bref, éviter de donner des informations permettant d’identifier clairement une personne. En effet, le législateur a désormais prévu une haute protection lors de la récolte, le traitement, la transmission, le stockage et l’exploitation des données personnelles. La loi sénégalaise met en place un dispositif permettant de lutter contre les atteintes à la vie privée susceptibles d’être engendrées durant tout le processus. Elle veille à ce que les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) ne portent pas atteinte aux libertés individuelles ou publiques, notamment à la vie privée. Pour sa part, le président de la République, Macky Sall, indiquait : « le gouvernement du Sénégal va encourager activement la formation et la sensibilisation sur les problèmes de la confidentialité en ligne, de la protection de la vie privée et plus généralement, de celle des données personnelles des consommateurs ». Cette déclaration montrant la détermination du Président est affichée en gros caractère sur le site de la commission de protection des données (https://www.cdp.sn). Sur ce même site on peut lire : « chaque personne dont les données à caractère personnel font l’objet d’un traitement dispose d’un certain nombre de droits. C’est-à-dire d’un ensemble de règles qui lui permettent d’exercer un contrôle sur l’usage qui peut être fait de ces données ».
Cheikh Moussa SARR