La première transplantation rénale effectuée au Sénégal l’a sortie de l’ombre de la grande muette. Directrice de l’hôpital militaire de Ouakam (Hmo), Colonel Youhanidou Wane, gynécologue-obstétricienne, la cinquantaine, est aussi une mère de famille exemplaire.
Ce matin là, lorsque le ministre des Forces armées foule les pieds dans l’enceinte de l’hôpital, Colonel Youhanidou Wane Dia, parmi les hauts gradés présents, s’active au devant. Allure frêle, le béret noir flanqué sur les dreadlocks, revêtue du treillis militaire orné de galons aux cinq barrettes, elle s’emploie à une visite guidée du centre «Ker Jambar Yi» flambant neuf. Au centre de la délégation, entre termes de réjouissance, marque de reconnaissance, la maitresse des lieux magnifie la portée de l’infrastructure nouvellement construite au sein de l’Hôpital militaire de Ouakam (Hmo). Puis, derrière l’allocution de Sidiki Kaba, précédé d’autres officiels, la cérémonie d’inauguration du centre se referme par son discours empreint de soulagement au nom de ses compagnons d’arme. L’établissement sanitaire se vide de ses hôtes. En même temps, la silhouette du Colonel Youhanidou disparait du feu des projecteurs. Nous sommes le 17 mars 2021. L’appel du commandement et les exigences de la noble gestion sans répit de Hmo sont passés par là.
Fille de Amadou Tidiane Wane, ancien maire de Kanel
Deux ans et huit mois plus tard, la même Dr Youhanidou Wane refait surface. L’Hôpital militaire de Ouakam (Hmo) qu’elle dirige vient de réaliser la première transplantation rénale au Sénégal. Prouesse clinique indiscutable dans un pays où près de 750 mille patients souffrent d’insuffisance rénale, la réussite d’une telle opération plus que salvatrice rime désormais avec le nom de ce médecin Colonel. Même si, humilité et reconnaissance en bandoulière, elle précise qu’elle n’a pas été de l’équipe qui a réalisé cette performance. «Je suis gynécologue, je n’ai fait qu’assister à l’opération en tant que directrice de l’hôpital », confiait-elle au 20 H de la Rts. La cinquantaine, visage affable, Youhanidou Wane, née à Saint-Louis, aurait pu suivre les traces de son papa, Amadou Tidiane Wane, et devenir ingénieur agronome. Ou bien, toujours comme ce dernier, aller à la quête des suffrages de sa communauté pour devenir maire. Mais n’empêche, l’édile d’alors de la commune de Kanel, son père, directeur général de la Sodragi aussi à l’époque, ne ménagera aucun soutien pour voir sa fille arpenter les endurantes marches du succès. «La réussite au bout de l’effort», comme se le galvanisent ses compagnons d’armes, Youhanidou Wane, trimant dans les études au lycée Van Vollenhoven, actuelle lycée Lamine Gueye, va franchir le passage de l’ultra sélectif concours Santé militaire. Pour ensuite sortir de la Fac médecine avec un diplôme de gynécologie-obstétricale.
«L’autre Colonel Gorgui Diaw»
Médecin-militaire, elle enfile sa blouse blanche, prête à servir sous le drapeau, et rejoint son poste. Imbue de valeurs de patriotisme, le professionnalisme comme arme, elle fait aussi parler dans le milieu hospitalier. «C’est la meilleure de sa génération. Elle m’a suivie pendant toutes mes grossesses et vraiment c’est un médecin très généreux. Toujours très accueillante, elle ne fait pas de distinguo entre militaires et civils. Machallah, que Dieu l’accorde une longue vie en bonne santé», raconte, dans la joie, Astou Kane, une de ses patientes. Aux yeux d’autres, le nom Youhanidou est déjà dans les annales historiques de son corps d’armée. «Ce médecin-militaire nous rappelle l’autre colonel, Gorgui Diaw, qui lui aussi excellait dans ce métier de gynécologue», glorifie une dame bénéficiaire des soins de la directrice de l’hôpital militaire de Ouakam (Hmo).
Femme modèle dans son foyer
Mère d’une fille et d’un garçon, avec sous son aile une fille adoptive qu’elle considère comme ainée de ses enfants, Colonel Wane, Madame Dia pour les intimes, est aussi connue dans son cercle familial pour un sens élevé de la piété. «Au-delà du fait qu’elle fait preuve d’une conscience professionnelle aveugle, c’est aussi une femme très attachée à la religion. D’ailleurs, chaque jour, c’est de façon implacable qu’elle me réveille à l’aube en m’invitant à m’acquitter de la prière de Fadjr. Et après la séance de prière, pendant que je m’empresse de replonger dans mon sommeil, elle, ne se donne pas de temps à perdre. Elle se prépare vite et prend la route de l’hôpital. C’est son boulot qui la préoccupe», témoigne son époux, Elhadj Dia, avec un rire teinté de fierté. Intellectuelle achevée, Youhanidou Wane est aussi dans le lot des rares Sénégalais, de nos jours, à consacrer une partie de leur temps libre à la quête du savoir. Fervente passionnée de lecture livresque, les bouquins, elle en fait son dada comme d’ailleurs le plat «soupou kandjia» dont elle raffole à ses heures perdues. «C’est une passion qu’elle a certainement héritée de son défunt papa qu’elle considère aussi comme sa référence. Elle aime tellement lire, toujours collée aux ouvrages. Et cette passion on là retrouve dans leur famille», narre son mari, par ailleurs ancien Président de la Fédération sénégalaise de Judo et actuel Conseiller spécial du chef de l’Etat.
Une femme au front, en Casamance …
Soldate dans l’âme, c’est dans un épisode central du feuilleton macabre de la rébellion en Casamance que Youhanidou Wane aura à accomplir un fait d’arme. Jeune médecin-militaire, elle et son contingent présent dans le sud du pays en 1997 tombe sur les événements de Mandina Mancagne. Dans ce sanglant face à face, l’Armée est en train de subir de lourdes pertes. Jeune officier à l’époque, Youhanidou Wane est appelé au front avec ses compagnons. «Pourtant elle était même dans liste des militaires sélectionnés pour une mission au Congo. Mais avec cette brusque tournure du conflit, elle bascule dans le front. Et si ce n’est la première, je pense que c’est l’une des premières femmes militaires à avoir vécu sur le terrain cette tragédie. Elle passera ainsi un an et demi là-bas avant de revenir à Dakar», se souvient toujours M. Dia. Parlant de son épouse, dans un portrait réalisé par la consœur Gaëlle Yomi, le mari revenait sur leur coup de foudre. «On s’est rencontré à l’hôpital Le Dantec. A l’époque, madame était en 4e année de médecine. Elle était toute petite et j’ai été étonné de savoir qu’elle était militaire. A chaque fois qu’on sortait ensemble, les gens se mettaient au garde à vous car elle était officier», se remémorait l’époux. Bref, pour M. Dia, sa Youhanidou est une… special Wane !
Par Malick Sy et Falilou MBALLO