Diomaye Faye devient le cinquième président de la République du Sénégal. Il a été élu dimanche puis félicité lundi par son principal challenger Amadou BA, ancien Premier ministre. Le pays respire.
Les deux hommes se connaissent pour appartenir au même corps d’élite de l’Inspection des Impôts et Domaines. Les aléas et les circonstances de la vie politique les ont éloignés jusqu’à les opposer mais de réelles affinités constituent la trame d’un lien jamais rompu bien que défraîchi.
D’apparence frêle et détaché, le nouveau président a un singulier destin. Il est le plus jeune de tous ses devanciers qui ont occupé cette prestigieuse fonction élective. Par la grande porte, Diomaye entre ainsi dans l’histoire après avoir été élargi de prison par une amnistie en jetant ses forces dans la bataille présidentielle au terme d’une campagne menée au pas de charge avec son ami, camarade et mentor Ousmane Sonko, l’inoxydable opposant.
Le chemin fut sinueux, bosselé, raide, escarpé parfois, abrupte par moment, rarement rectiligne. Ensemble, ils ont lutté avec âpreté contre un adversaire autrement plus coriace, de surcroît très outillé pour les embrouiller à dessein.
Ils se sont forgés un mental conquérant dans les épreuves qui, non seulement les ont soudés, mais les ont fortifiés en démultipliant leur vaillance. A l’arrivée, l’un des deux s’installe au sommet de l’Etat, incarnation suprême du système qu’ils ont voué aux gémonies tout au long d’une décennie d’opposition sans quartier.
De facto leur ligne politique, combinaison de radicalité et de populisme, a fini par s’imposer comme la plus audible au sein d’une opposition presque aphone, en panne d’initiative et peuplée d’acteurs dont la tiédeur contraste étrangement avec la débordante énergie des deux jeunes hauts fonctionnaires aux dents longues.
Leur inflexibilité a été doublement payante. Ils gagnaient la sympathie de larges couches sociales conquises par leur incomparable culot politique. Cet avantage comparatif se transforme en un redoutable instrument de pression et revêt tout autant un caractère populiste qui leur a valu une impressionnante assise populaire et une formidable notoriété politique.
Celle-ci s’apprécie comme un dividende leur ayant permis malgré leur jeune âge de s’imposer en interlocuteurs incontournables dans les différentes sphères de pouvoir du pays. Dès lors, devant les équations, ils ont conscience d’être une partie de la solution.
Les démêlés judiciaires de Sonko qui le privent de ses droits civiques le poussent à scénariser la candidature de Diomaye, très vite acceptée pour son audace et sa cohérence tactique et défendue par des alliés de plus en plus nombreux à se convaincre de la pertinence de l’option de rechange.
Ils peaufinent la stratégie et passent, contre toute attente, l’obstacle du parrainage qui ouvre à Diomaye un large boulevard de redéploiement sur fond d’une équation politique étonnamment simple : Sonko égale Diomaye. La formule fait mouche.
Mieux, elle séduit et se répand, reprise par les relais de communication, les réseaux sociaux et un faisceau d’influenceurs au détour d’une habile stratégie digitale qui fait florès. Un moment dubitative, l’opinion valide le ticket qui n’en est pas un.
Dimanche dernier, le pays bascule. Des dix-neuf candidats, seuls deux se détachent, laissant loin derrière une kyrielle de candidats sans réelle épaisseur politique, sans densité sociale, sans envergure. D’un trait de plume, certains sont rayés de la carte.
La vie publique s’organise autour de personnalités éminentes. Beaucoup aspirent à cette élévation mais très peu l’atteignent. Du filtre au tamis, de la sélection à l’élection, le choix devrait au finish être de qualité pour jeter le dévolu sur des hommes et des femmes à l’honorabilité irréprochable nous épargnant ces « jamais-gagnants » qui polluent les lambris et jalonnent le parcours électorale.
Toutefois, le scrutin révèle une poussée générationnelle en même temps qu’il démontre la maturité de la démocratie sénégalaise. Qui ne s’en réjouirait ? En masse, les Sénégalais sont donc allés voter dans le calme et la sérénité.
Ce même calme a prévalu le lendemain de l’élection dans l’attente de la proclamation des résultats qui plébiscitent, sans contestation, le nouvel élu, Bassirou Diomaye Faye.
Désormais, il sait ce qui l’attend. Les priorités se chevauchent. Tout paraît urgent. L’économie ne s’accommode pas de l’incertitude. Les impatiences ne manqueront pas de se manifester, notamment chez les jeunes qui espèrent être mieux compris par Diomaye, un des leurs. Il a quarante-quatre ans. Il cultive la modestie et la sobriété, traits dominants de ses origines rurales qu’il brandit fièrement.
De la gestion de la parole, il doit passer maintenant à l’action pour dénouer des crises multiples et variées. Un autre chantier non moins immense se dresse : la corruption et la reddition des comptes. Depuis des lustres, les rapports s’empilent sur l’aggravation des facteurs de corruption.
La société sénégalaise est gangrenée par ce phénomène qui prend des proportions beaucoup plus qu’inquiétantes sur fond d’impunité qui accroît les frustrations et étouffe des colères. Jusqu’à quand ? L’incursion de la jeunesse dans le vote de dimanche a été perçue comme un fait politique notable, traduisant une exaspération aux contours mal définis.
En outre, ce surgissement juvénile a été interprété comme le rejet des « aînés », ce qui a eu pour effet immédiat de provoquer une déchirure sociale entre tranches d’âge que rien n’oppose en vérité. Certes le vote jeune a pesé dans l’issue de l’élection présidentielle. En revanche, leur seule proportion n’a pas constitué l’élément déclencheur du renversement.
L’usure du pouvoir et les tergiversations au sommet ont hypothéqué la candidature de l’ancien Premier ministre et expliquent la dispersion des voix de son camp, miné par des querelles byzantines et des disputes sans fin à mesure que l’échéance du scrutin approchait.
En lieu et place d’une lutte pour la conservation du pouvoir, les ténors de l’APR se neutralisaient pour une perte de pouvoir. Hara-kiri au Sahel ! Ce que personne ne comprenait.
La preuve, nombre d’entre eux n’ont pas « mouillé le maillot » alors que d’autres n’ont assuré que le « service minimum », sans grand enthousiasme, ni panache. Il serait intéressant de savoir comment la défaite a été accueillie dans les rangs marrons-beiges.
Elle est si cuisante que très peu s’en remettront au lendemain de la gueule de bois. Déjà que le chef quitte le navire sans la gloire dont il jouit pourtant du fait de ses réalisations structurantes.
L’opacité de cette séquence est à imputer entièrement au Président sortant. Etait-il en train de créer le vide autour de lui ? Les derniers actes qu’il a posés recouvrent quelle finalité ? Vont-ils dans le sens de l’histoire politique du Sénégal ? Toujours est-il qu’il reste ambigu dans ses intentions ? Aura-t-il l’occasion de s’en expliquer pour lever les équivoques au moment où une nouvelle majorité s’installe ?
Paradoxalement, celui qui lui succède à la tête de l’Etat dirigeait le Pastef dissout du fait du prince. On devine aisément la suite. Car à défaut d’une recomposition politique, on va assister à une reconfiguration de l’échiquier avec un Pastef réhabilité et requinqué, prêt à aligner les planètes…
Par Mamadou NDIAYE
Bonjour,
Merci pour cet éditorial éclairant .
A corriger( coquille) paragraphe 8:
unE dividende et non UN.
Cordialement.