Le nouveau ministre de l’intérieur entame sa fonction par une visite musclée d’un lieu fétide squatté par des ressortissants d’un pays du Sahel. Ces derniers, très peu avantagés par la nature, errent sans fin comme des feuilles mortes dans une gigantesque ville presque indifférente à leur sort peu enviable.
Casquette bien vissée, silhouette frêle, sobrement vêtu, Maître Bamba Cissé, entouré d’une escouade d’agents de sécurité et de proches collaborateurs, avance d’un pas lent au milieu des gravats, de bric-à-brac et d’abris précaires, dans ce « no man’s land » isolé, et au cœur de Dakar. Une vie non moins précaire s’y déroule au quotidien.
Cette « descente » inopinée marque le début inaugural d’un ministre connu pour sa discrétion, sa tenue et son talent oratoire d’avocat féru de droit, à l’éloquence fleurie et respecté par ses pairs pour sa compétence. Bienvenue dans le monde impitoyable de la politique, univers clos et singulier sans codes ni règles où se côtoient, élégance et brutalité, charme et rudesse, séduction et sauvagerie, silence et fureur…
S’il voulait frapper les esprits et fouetter les imaginations, l’occupant de la place Washington a réussi son coup. Sans doute ne voudrait-il pas que son « opération » apparaisse comme un acte de portée politique. Elle aurait néanmoins une telle signification eu égard au contexte et à la temporalité dans une sorte d’exaspération citoyenne devant les incongruités d’une vie urbaine qui se dégrade.
Dakar, répétons-le, se défigure et forcément perd son âme dans ce dédale de complexités juxtaposées. Par manque de projection dans le futur et de défaut d’anticipation, l’illisibilité d’une politique de ville prive la capitale d’une ambition forte pour dégager une identité propre (et remarquable) en direction d’enjeux à définir pour se hisser au rang de ville lumière, ville d’éclat, cité d’éclosion ou d’épanouissement.
Son statut actuel, hybride, suscite appréhension et moquerie quand d’autres mégalopoles attirent, prospèrent et s’enrichissent à l’image de Nairobi, Abidjan, Accra, Kigali, Addis-Abeba. Ces capitales et d’autres, se développent et agrègent des facteurs de progrès en misant sur leurs valeurs intrinsèques, leur originalité et leur poids politique en tant que sièges de gouvernance et d’influence.
Dakar doit retrouver sa grandeur en y ajoutant des réels attributs de puissance. Sa faiblesse actuelle compromet son devenir en proie aux factions politiques sans vues larges ni visions profondes.
Sur les flancs d’une de ses corniches, trône la Banque centrale. Elle décide enfin d’être une Banque de son temps. Forteresse absolue, la Bceao, se hâte lentement quand tout autour d’elle se transforme à la vitesse grand V. S’apercevant que son rythme actuel pénalise plus qu’il n’impulse, l’institution d’émission, en accord avec les autorités politiques de la sous-région, a enclenché le processus de « dématérialisation intégrale ». En clair, elle change de moteur et accepte –le mot n’est pas humiliant- de devenir plus « accessible » aux nombreux usagers qui l’interpellent sur ses lourdeurs.
Jadis, rien ne se faisait sans elle. De nos jours, son pouvoir d’attraction a fortement diminué. Elle s’en est aperçue trop tard alors qu’elle devrait promouvoir les mutations en observant avec attention la marche des sociétés et l’expression des besoins pressant des acteurs.
Pourquoi retarder ce qui finit par arriver inéluctablement ? Avait-elle les moyens d’endiguer la révolution qui s’annonçait ? Sa lecture du temps a révélé ses limites objectives dans le pilotage des grands agrégats de la finance et de l’économie de la région ouest-africaine.
Les différents gouverneurs qui se sont succédé à la tête de la Bceao, ont eu à être confrontés aux délicates décisions stratégiques à prendre sur fond d’analyse des données de marché. A l’évidence, les choix étaient difficiles puisqu’il fallait toujours intégrer les contradictions et les intérêts des Etats membres.
Or ceux-ci n’existent que parce qu’ils ont « voix au chapitre » ! Ils ne manquent pas d’en user au point d’en abuser au grand risque d’immobiliser (et pourquoi pas d’hypothéquer) la Banque des banques. Les différentes crises vécues impactent la marche de l’économie sur laquelle la Bceao a très peu de prise en raison de l’effritement de son spectre de rayonnement.
Quand trois Etats se retirent du parapluie et chahutent le prestige de la Banque d’émission, chacun fait de son mieux pour être aimable. Pas plus. Les principes fonctionnent à géométrie variable. Et c’est bien dommage ! Pour s’en convaincre il n’y a qu’à observer l’engouement que suscite le loyer de l’argent. Les marchés financiers privés s’en donnent à cœur joie. Ils se substituent dès lors à la Banque centrale qui assiste impuissante au gonflement de la dette des pays alors qu’elle est mieux placée pour agir en contenant les effets spéculatifs et les inflations.
En se muant en une fintech – ça ne s’invente pas !- la Bceao innove. Les usagers se félicitent que les paiements, la gestion de portefeuille ou les financements participatifs s’inscrivent dans ce processus de digitalisation. Ils gagnent en rapidité. Donc adieu la forteresse des lenteurs !
Une fois cet avantage acquis, comment va se configurer l’économie, très peu industrialisée, foncièrement dépendante des importations et gourmande en devises que ne tempèrent pas nos maigres exportations ?
L’Afrique de l’ouest n’est plus un « foyer homogène ». Les crises à répétition l’ont réduite à n’être qu’un espace de tensions permanentes. Toutes les avancées d’alors, compromises par des rivalités sans nom, deviennent des reliques du passé, tandis que d’autres régions, instruites par ces avatars, enjambent ces difficultés et s’organisent pour devenir des lieux d’attraction incontestables.
Il n’est, pour s’en convaincre, que de voir la trajectoire actuelle de la Côte d’Ivoire. Abidjan ne se contente plus d’être la première économie de la sous-région. Son PIB pulvérise des records. Le pays regarde ailleurs sans toutefois rompre les amarres. Il se projette désormais vers d’autres cimes en se comparant à plus fort que lui. Normal. En plus c’est intelligent et malin à la fois.
Dans ce cas de figure, le Ghana, le Nigéria, l’Afrique du Sud et le Maroc sont des « compétiteurs » qui incitent les Ivoiriens à se mesurer à eux, parce que c’est plus valorisant. En outre, la diversification de ses ressources place la Côte d’Ivoire au centre des curiosités saines avec un afflux massif d’investisseurs en quête d’opportunités.
Celles-ci foisonnent du reste. Préparés à « jouer dans la cour des Grands », ils s’adaptent et apprennent vite tout en se débarrassant des vieux réflexes atrabilaires. Le pays se transforme en bien même si par moment, il inquiète par le jeu électoral qui ne se stabilise pas et ne s’aère pas pour étouffer les « identités meurtrières » à l’affût.
Le Sénégal se réjouit-il du l’évolution de la Palestine malgré la crise récurrente à Gaza ? Depuis des décennies, Dakar préside le Comité de l’ONU pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien. Hier de grands pays ont déclaré reconnaître l’Etat de Palestine. L’idée a séduit plus d’un.
Israël se fâche. Jamais Tel-Aviv n’a été aussi isolé sur la scène diplomatique malgré le soutien indéfectible des Etats-Unis et l’usage immodéré de la force pour détruire la bande de Gaza sous le prétexte de chasser le Groupe Hamas. Alors que le projet ressemble bien à une occupation de fait. En 1948, Israël naissait sur la base d’une déclaration unilatérale prononcée par David Ben Gourion.
Soit dit en passant, d’accords en accords, de Madrid à Oslo, de Dayton au Camp David, toujours une solution près du but mais toujours compromise par des actes isolés de fanatiques et de radicaux des deux bords. Cette reconnaissance consacre l’ouverture d’un nouveau chapitre enthousiasmant.
Par Mamadou NDIAYE
