La politique est un jeu de suprématie. Dans la situation actuelle de notre pays, Ousmane Sonko s’impose comme l’homme d’exception. Il a « son » soleil au zénith. Même flétri par ses adversaires pour sa vacuité, son discours régale ses partisans qui s’enthousiasment, s’ils ne se passionnent, à chacune de leur rencontre avec leur héros. Il sait se placer sur l’axe des vents dominants.
Au meeting de samedi dernier, élevé au coefficient de « terra », sa côte de popularité a atteint de nouveaux sommets. En lui convergent des charges de responsabilité qui lui confèrent une autorité naturelle de président du premier parti de l’échiquier, Le Pastef-Les Patriotes, et une autre, fonctionnelle celle-là, en sa qualité de Premier ministre « spécial » d’un gouvernement sur lequel il exerce, sans conteste, une influence réelle.
« Le peuple nous a tout donné », a-t-il dit d’instinct face à une audience « disciplinée » pour la circonstance. En écho à son propre propos, il ajoute aussitôt « À nous de lui donner tout en retour (…) » S‘il n’a pas été applaudi « à tout rompre » c’est que lui-même avait transmis la consigne : l’écoute. Instruction respectée avec scrupule par les milliers de pairs d’yeux braqués sur lui.
L’espoir qu’il suscite et l’espérance qu’il incarne témoignent du sentiment qu’il inspire face aux attentes du « peuple Pastef ». Aura-t-il compris qu’il n’a pas le droit de décevoir ? Qu’attend-il pour ébaucher une stratégie de niches appuyée sur une forte volonté de changer les comportements ? Après tout, partisans et sympathisants lui une collent une réputation d’infaillibilité.
Par conséquent, sa popularité fait vœu d’orientation des conduites. Désormais, l’acte doit suivre la parole, puisqu’il est au pouvoir avec des moyens conséquents pour agir dans le sens souhaité d’une transformation du quotidien et de l’ordinaire des Sénégalais. Bien que d’autres tisonnent des braises…
Or une hantise les obsède : la perte de pouvoir d’achat coïncide avec une inflation galopante, de surcroît fluctuante, des produits de première nécessité. En un mot la conjoncture reste maussade. Plus ça dure, plus c’est dur… Le phénomène politique qu’il est peut-il se convertir en un phénomène économique ? Il mobilise. Il capte les attentions. Il dégage un charisme qui ne s’use pas encore.
A la fois lien et liant, le Chef des Patriotes, -entendez Le Pastef-, doit, s’il le peut vraiment, provoquer un déclic de changement qualitatif par une féconde éclosion d’initiatives d’émancipation. Par ces affluences massives, son esprit, loin de voguer vers des calculs égoïstes et politiciens, devrait plutôt refléter l’aspiration légitime des gens à un mieux-être salvateur.
En ayant entre ses mains un choix varié de leviers opérationnels, le voilà servi pour impulser un élan pratique adossé à sa foire d’idées et à son système de pensée. C’est vrai qu’il a horreur de « système ». Et toute tentative de s’en débarrasser va déboucher invariablement sur un autre système qui ne dit pas son nom.
Dès lors, il lui revient de « donner corps » à la raison d’être du phénomène qu’il représente. De Julius Nyerere ou Jomo Kenyata, en passant par Mandela ou Raila Odinga, ou plus loin dans l’histoire, à John Kennedy, Mao Zédong, Thomas Sankara, d’énormes foules acquises à ces héros historiques ont changé le visage de leurs pays respectifs, des régions entières et dans une moindre mesure du monde entier.
Sonko, ne l’oublions pas, est allé se recueillir sur la stèle et la place dédiées au défunt capitaine burkinabè tombé sous les balles de la trahison. A défaut de s’inspirer de ces épisodes, il s’en rapproche en brandissant le souverainisme dans ses différentes variantes. Ses discours dans de nombreuses tribunes l’attestent.
Toutefois, le champ politique a sa part d’ombre comme la lumière. Lors de ce fameux meeting, il a fourni des informations clés qui ont alimenté des suspicions ayant conduit plus d’un à sentir un «parfum de malaise » au sein de l’exécutif. Le Premier ministre s’en défend et s’empresse de souligner la « bonne entente » entre lui et le Chef de l’Etat.
Des points de désaccords existent qu’il tente d’atténuer en invoquant des nuances de perception ! À moins d’une cohabitation, entre les deux têtes de l’exécutif, la cordialité, l’entente et même la complicité caractérisent les rapports et s’apprécient comme des valeurs cardinales. C’est le meilleur moyen de rassurer une opinion publique travaillée par des courants contraires.
En revanche, des dissonances subsistent et font apparaître un malaise provoqué par la présence indésirable de certaines « fortes têtes » dans le proche entourage du Président de la République. Le Premier ministre aiguise ses soupçons et redoute que cet imbroglio ne débouche sur le grand écart. D’où l’idée de recentrer toute alliance autour du Pastef dont il est le « patron incontesté » en déconstruisant celle qui avait bâti la stratégie victorieuse du Président Diomaye.
Ce dernier ne réagit pas. Il se tait. Et ce silence turlupine Sonko. Il invoque un « jeu caché » de celui qu’il a désigné et aidé à arriver au pouvoir. Ces apostrophes répétitives récoltent très peu de répliques, signe que l’effet ne porte guère à conséquence. Pour le moment tout au moins.
Cependant, le surgissement du ministre Dr Abdourahmane Diouf dans ce duel feutré cristallise une situation mouvante mais loin de l’épilogue. Au gré de son parcours professionnel et politique, l’homme a du galon et du répondant. Il a un réseau envié et jongle avec les opportunités que lui offre son brillant profil d’expert international.
Le Premier ministre Sonko, habitué aux éloges, supporte mal la contrariété. La force de Sonko masque-t-elle une faiblesse rédhibitoire ? Diouf passe-t-il pour un atout-maître aux yeux de Diomaye ? Leur proximité actuelle se fonde sur un attachement mutuel qui surprend dans les rangs des Patriotes portés à voir en Abdourahmane Diouf un facteur de division ou de discorde.
C’est sûrement ce qui explique le jeu de chaises musicales lors du dernier remaniement du Gouvernement. Indexé par Sonko pour surfacturation à la tête du Département de l’Enseignement supérieur, l’intéressé diffère sa réaction. Met-il cette accusation sur le compte du contexte politique qui se dégrade à vue d’œil ?
Ses partisans craignent l’arbitraire comme mode d’action et de règlement des différends, surtout d’ordre politique. Maître de lui, intelligent et cultivé, Abdourahmane Diouf a sa version personnelle du charisme qui le distingue dans ce remuant landerneau où s’enchevêtrent des paradoxes. Les semaines à venir seront édifiantes à ce sujet.
En attendant, les priorités s’accumulent, de même que les urgences. Nul ne sait comment pourrait évoluer la situation actuelle. Elle est grosse de menaces. Le front social bouge ici et là. Dévorée par des querelles sourdes d’egos, l’opposition se mobilise, encouragée, il est vrai, par la récente marche du Front pour la Défense de la République.
La montée des colères, ajoutées aux relents d’instabilité à nos frontières justifie que le gouvernement privilégie l’apaisement et le consensus devant être issus d’un dialogue circonstancié autour de l’essentiel pour épargner à notre pays des tensions irritantes. Que ne ferait-on pour ne pas abîmer l’image du pays déjà écornée ici et là !
A tous, la vigilance s’impose d’autant que des hypothèses prudentes ne sortent pas encore des lancinantes négociations avec le FMI qui joue toujours à se rendre indispensable pour sauver les apparences dans la préparation budgétaire. La dette effraie. Surtout si elle est… «cachée » !
Par Mamadou NDIAYE







