Une farce tragique : voilà ce à quoi les Sénégalais ont eu droit depuis une semaine, au pas de charge, de la part du binôme APR/Benno Bokk Yakaar et PDS/Wallu, sous la houlette du président Macky Sall. La conspiration est si flagrante qu’elle constitue une insulte à l’intelligence.
Le président évoque les accusations de corruption du PDS contre le Premier Ministre et deux juges du Conseil constitutionnel (CC) ainsi que le souhait des députés de BBY et de Wallu de mener une enquête parlementaire, pour justifier sa décision de reporter l’élection présidentielle du 25 février 2024, à quelques heures du début de la campagne électorale. Est-ce à dire qu’à la veille du 15 décembre 2024, nouvelle date retenue pour l’élection, il suffira d’accuser une personnalité de quelque infraction pour obtenir un nouveau report ? Le rouleau compresseur de la majorité mécanique des « nouveaux amis » BBY-Wallu aurait-il pu s’enclencher sans la bénédiction du président ? – La réponse est assurément non, car le système sénégalais est de type monarcho-messianique dans lequel de facto (certes pas de jure) le Chef de l’Etat est le chef suprême de l’exécutif, du législatif, d’une partie du judiciaire, du parti APR et de la coalition BBY. Aucune de ces entités ne peut engager le pays dans une aventure aussi grosse de risques que celle que nous vivons sans son assentiment.
Qu’est-ce qui fait courir les uns et les autres ?
La validation de la candidature de Bassirou Diomaye Faye a surpris et fait peur au camp du pouvoir. Pour cette raison, on en veut au Conseil constitutionnel sans pouvoir l’assumer ouvertement car les juges n’ont fait qu’appliquer la loi : Diomaye a rempli toutes les conditions pour être candidat (casier judiciaire vierge, parrains valables, etc.). Face au « redouté adversaire », BBY commence à se demander si son candidat fera le poids, dans un contexte où une bonne frange des recalés du parrainage se range derrière Diomaye et où les querelles intestines prennent de l’ampleur (attaques contre Amadou Bâ, manque d’engagement, etc.). Même les potentiels alliés pour un éventuel second tour (Boun Dionne, Mame Boye Diao et Aly Ngouille Ndiaye) se rapprochent de plus en plus de l’opposition. Or, pour le président et ses compagnons, l’aspiration « naturelle » à conserver le pouvoir est exacerbée par la crainte de le perdre dans ces moments de haute tension où l’adversité politique s’est muée en animosité.
Quant à la famille Wade (je parle bien de la famille Wade plutôt que du PDS ou de Wallu), le premier enjeu est la levée de l’épée de Damoclès que constituent les 138 milliards que Karim Wade doit à l’Etat sénégalais suite à sa condamnation par la CREI. Elle sait qu’aussi longtemps que Karim ne sera pas amnistié, la contrainte par corps peut lui être appliquée. Cette crainte de perdre la liberté justifie sa peur de rentrer au Sénégal et constitue une grande préoccupation pour sa famille. Sortir de ce guêpier par le vote d’une loi d’amnistie est le principal enjeu, plus important que la participation à l’élection.
Une des bases du mariage de raison entre BBY et Wallu est leurs griefs respectifs contre le Conseil constitutionnel, l’agneau du sacrifice. Quel rapport existe-t-il entre la « corruption » de deux juges sur sept et l’élimination de Karim Wade ? Oublie-t-on que c’est le candidat Thierno Alassane Sall qui, dans la légalité, a soulevé le problème de la double nationalité ? Combien de juristes sérieux et respectés ont estimé, à l’instar des juges du CC, que Karim Wade a commis un parjure en raison du décalage entre la déposition de sa déclaration sur l’honneur et la publication du décret qui annule sa nationalité française ? Cela ne signifie pas qu’il faille ignorer l’accusation de corruption ; au contraire, il faut l’élucider. En revanche, en faire un prétexte pour créer de toute pièce un charivari en vue du report de l’élection présidentielle, avant même le début de l’enquête, a fortiori ses conclusions, relève de la violence illégitime.
Le Sénégal recule : les irrégularités enregistrées dans l’organisation de cette élection sont sans précédent. Un contrôle des parrainages chaotique. Des candidats qui prêtent de faux serments sans qu’on ait un dispositif efficace de les détecter. Que se passerait-il si le parjure n’est découvert qu’a posteriori, c’est-à-dire après l’élection d’un candidat ? Qu’est-ce qui prouve que Karim Wade et Rose Wardini sont les seuls coupables ? Le même Karim qui s’arroge le droit de donner des leçons de morale aux « corrompus ».
On n’alertera jamais assez : trop d’injustice mène inéluctablement vers l’explosion. Ce lundi 05 février 2024, les institutions et la conscience des Sénégalais ont été violemment agressées. BBY et Wallu ont prouvé que l’on pouvait commettre des putschs sans porter de treillis.
Coup d’Etat militaire. Coup d’Etat constitutionnel. Un coup d’Etat est un coup d’Etat. Goïta, Traoré et Thiani ont eu raison d’ironiser contre la CEDEAO et l’Union Africaine en rappelant leur manque d’efficacité et leur partialité.
Dieu protège le Sénégal et l’Afrique !
Diom Wouro BA