Sac banane autour de la taille, clés en main, il est 10 h passé lorsque Ousmane Gaye commence sa journée de conducteur au Rond-point Colobane. “ Tiak Tiak” scande-t-il sans cesse. Diplômé d’une licence en géographie, il passe ses journées sur les routes de Dakar, d’un point à un autre pour transporter des personnes sur son scooter. L’ancien étudiant de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) s’est retrouvé dans ce milieu à cause du chômage endémique qui touche les jeunes au Sénégal : “ Je suis né et j’ai grandi à Yarakh. J’ai obtenu ma licence en lettres modernes il y a deux ans, mais depuis je galère à trouver du travail, c’est pourquoi j’ai décidé de me tourner vers ce business. Au début, j’étais livreur et maintenant, je fais les deux.”
Aller à l’Université, terminer ses études pour au final se retrouver sans travail, voilà le quotidien de ces jeunes Jakartamen. Certains ont grandi à Dakar, mais la majorité viennent de l’intérieur du pays. C’est le cas de Ousseynou Diop : “ Je viens de Ziguinchor et je suis venu à Dakar pour travailler, car le métier de Jakartamen marche beaucoup plus ici en ce moment.”. Du fait des embouteillages à Dakar, ces modes de transports, communément appelés Tiak Tiak, sont de plus en plus prisés. “À Ziguinchor, on a des clients, mais pas comme ici. À Dakar, les tarifs sont beaucoup plus élevés et la demande est plus forte.”, explique-t-il. Avec cette forte demande, les conducteurs peuvent gagner jusqu’à 15 000 Cfa par jour.
Un nouveau phénomène…
Avant d’être des moyens de transport, les Tiak Tiak sont avant tout un service de livraison créé par Cheikh Ahmed Tidiane Samb. Ce Sénégalais ayant fait ces études en France est plus tard rentré au pays pour investir. C’est d’ailleurs son expérience en France qui lui a donné l’idée de mettre en place ce service de livraison. “ À la base, Tiak-Tiak était destiné à la diaspora sénégalaise qui avait du mal à faire parvenir certains cadeaux ou paquets à leurs proches ici au Sénégal. J’ai décidé de créer ce service une fois au Sénégal, car je rencontrais ce problème étant étudiant en France” nous explique-t-il. Par la suite, il a essayé d’étendre ses activités au transport de personnes, mais il s’est heurté au communiqué du gouverneur de Dakar en janvier 2022.
Suite aux multiples agressions et vols à l’arraché parfois commis par des malfaiteurs utilisant ce type de locomotion, un arrêté sur l’interdiction de transport public de personnes par vélos-taxis sur l’étendue du territoire de la région de Dakar est publié. “Ce type de transport, inadapté à Dakar, du fait de la densité du trafic automobile et des risques pour la sécurité des personnes, ne saurait y prospérer’’, a rappelé Al Hassane Sall, le gouverneur de la région. En plus des agressions, les cyclomoteurs sont à l’origine de beaucoup d’accidents sur la route.
Source d’insécurité et de concurrence “déloyale”
Les statistiques 2022 de la Brigade nationale des Sapeurs-pompiers sur les victimes d’accidents sur la voie publique, causés par les cyclomoteurs, font froid dans le dos. 3 847 piétons renversés par un cyclomoteur dont 46 morts, 3 100 cyclomoteurs renversés par un véhicule automobile avec 118 décès, 1 569 collisions entre cyclomoteurs qui ont causé 25 décès l’année dernière, des chiffres qui donnent le tournis et peuvent créer une réticence de la part des clients. “Je comprends que les gens aient peur ou autre, mais moi, je fais toujours attention.” rassure Ousseynou Diop.
En plus d’être une source d’insécurité, les Tiak Tiak font la concurrence aux autres modes de transports. Une concurrence jugée « déloyale » et surtout « irrégulière », selon les acteurs routiers qui ont manifesté plusieurs fois au cours des deux dernières années pour exprimer leur désarroi. “Cela crée une concurrence déloyale dans le système de transport au Sénégal parce que nous, les légalistes des professionnels du transport et nous sommes en règle. Quand on voit d’autres personnes intervenir dans le transport sans aucun respect des règles, ni le droit, ça cause des problèmes. Soit, on est tous en règles ou dans l’anarchie.”, confie Malick Diop, secrétaire général du regroupement des taxis urbains du Sénégal(RTUS).
Vers une nouvelle ère
Face à ce phénomène qui prend de l’ampleur, Malick Diop pense que “la solution est le respect des lois et des règlements qui organisent le secteur du transport. Et que des mesures fermes soient prises.” La principale revendication de son association est l’arrêt immédiat de la circulation des taxis clandestins communément appelés clandos et Tiak Tiak qui “font du transport sans aucun droit” selon le secrétaire général. Un avis qui n’est pas partagé par patron du service de livraison Tiak Tiak: “ L’État doit pouvoir nous réunir pour déjà règlementer et réguler le service de taxi moto, puis expliquer clairement aux taximen notre rôle, voire notre complémentarité. Nous ne sommes point des concurrents, mais plutôt un service d’appoint qu’utilisent ceux qui n’en peuvent plus des embouteillages interminables.”, avance Cheikh Ahmed Tidiane Samb
Pour lui, le monde évolue et il faut apprendre à évoluer avec. Les gérants de télécentres pourraient dire la même chose avec les vendeurs de téléphones portables, les cybercafés également avec les vendeurs d’ordinateurs et les fournisseurs d’accès à internet. Il pense que le mieux serait d’accompagner les entreprises qui sont disposées à bien fournir ce service plutôt que de l’interdire pour les entreprises formelles, tout en fermant les yeux sur ceux qui s’adonnent à cette activité de manière informelle.