«Dès qu’on entre, il faut penser à la sortie», prévenait un ancien chef d’État. Il ne savait pas si bien dire. Le plus grand échec pour un président n’est pas tant de ne pas avoir d’actifs dans son bilan. Il consiste à rater sa sortie. Un soin particulier doit être mis dans la transmission du pouvoir. Les déboires passés en sont effacés. Ça a été dit et redit. Le président Macky Sall a occupé son fauteuil avec compétence et efficacité. Il n’a pas moins fait que ses trois prédécesseurs. Mais en ce début février de cette année bissextile, tout semble avoir été remis en cause. Huit mois auparavant, avec le discours sur le code d’honneur, on avait relevé avec emphase les paroles en or qu’il avait prononcées. Aujourd’hui, au dedans comme au dehors, on n’entend plus que des paroles de réprobation. Le report inédit de la Présidentielle ne peut avoir qu’une seule signification. Le Sénégal n’est pas arrivé à bon port. Ses totems sont devenus les problèmes. S’en prendre au dogme du scrutin présidentiel est l’illustration qu’on n’a jamais changé de paradigme. La décision de remettre les compteurs à zéro est une forme d’amateurisme. Elle met brutalement fin à l’exception sénégalaise en ajoutant de la confusion aux quiproquos. En termes d’image et de respectabilité, on laisse aussi beaucoup de plumes. La pilule de l’annulation est traumatisante et impopulaire. Elle passe mal. Celle de l’extension du mandat encore moins. Un pouvoir qui arrive à son terme doit fatalement cesser. Le bonus de neuf mois est moralement atterrant. Il va mettre à terre et balayer 12 ans de magistère. La décadence efface bien souvent la grandeur.
Amadou Ba doit se barrer
S’effacer, se taire et souffrir le martyre. On ne va pas jusqu’à dire qu’il est masochiste. Amadou Baraka, écrivait-on après sa désignation comme candidat de la majorité. Il n’en est plus rien. Ça sent la bérézina. Il n’a de cesse d’être humilié ou de s’humilier lui-même. Le don de soi frise la haine de soi. On peut bien vouloir laisser l’impression d’un homme d’État mais un personnage sans état d’âme est un dissimulateur. Pour son manque de magnétisme et de spontanéité, beaucoup le décrivent comme un politique pas magnifique. Les reproches qu’on lui fait peuvent être sévères aussi. Sa délicate position n’est pas celle des autres prétendants. Paradoxalement, il est plus vulnérable. Ce faisant, il doit se protéger et se blinder davantage. Mais s’agissant des derniers développements, c’est son honneur qu’il doit laver et réparer. La corruption est la pire des ignominies. Un corrupteur est toujours plus ignoble que le corrompu. Il pervertit le monde entier. Montré du doigt avec une telle violence, il ne peut plus faire la politique de l’autruche. Quand sa propre famille politique se montre bipolaire face à la déconvenue d’un de ses membres, il faut se rendre à l’évidence. On n’en est plus tout à fait membre. Il est temps qu’il se barre. C’est une question de dignité et de courage. «Le courage n’est pas l’inverse de la peur. C’est le contraire du cynisme», constatent les observateurs avertis.
La réalité nous rattrape
On aura donc observé qu’il n’est plus question de scrutin le 25 février. La fièvre électorale a été pulvérisée par la fébrilité démocratique. Le tirage au sort faisait déjà office de tombola hasardeuse. L’inflation de candidats est à la quantité qui témoigne de la baisse de qualité un peu partout dans le pays. Dans les normes, les 2/3 des prétendants ne devraient même pas aspirer à diriger une boutique. Une présidentielle est un choc de titans et de fortes personnalités. Autre point d’inquiétude, le Rubicon a été allégrement franchi avec le Conseil constitutionnel, bastion imprenable dont le nom a été mêlé à une affaire présumée et rocambolesque de corruption. On est tombés bien bas. De 62 à aujourd’- hui, des crises multiformes ont vu le jour. Les derniers développements sont l’aboutissement de plusieurs décennies de fuite en avant. De pays-pilote bien parti au début des indépendances, le Sénégal est aujourd’hui en totale rupture d’équilibre. Gangrené par la corruption. Ravagé par la mort de l’intérêt général et la misanthropie. Sculpté par le chômage. Sans goût de la discipline sur fond de crise d’autorité, on marche à tâtons depuis long- temps. Le climat d’anarchie actuel a des racines trop profondes.
Par Assane GUÈYE