Le Débat a été ouvert depuis Mohamed. La question posée depuis Jésus. Le verdict proposé depuis Senghor et par Senghor lui-même. On se rappelle tous pour ceux qui s’intéressent à l’avenir de nos langues nationales, les échanges de tirs et à balles réelles entre le poète et homme d’État et ces inoubliables et si brillants intellectuels pourfendeurs, parmi lesquels l’inégalable, « audacieux, tenace et courageux » Pathé Diagne s’était distingué. Nous l’aimions beaucoup ! Il est l’auteur en 1971 du livre : « Grammaire de wolof moderne. » et en Wolof, « Al Xuraan ci wolof », sa traduction du Saint Coran en 1997 ! Par ailleurs, et il est bon de le savoir, c’est à « Saint-Louis du Sénégal, que débarqua en 1816, il y a plus de 200 ans, l’instituteur Jean Dard qui ouvrit la première école en Afrique. Il commença par apprendre la langue locale et entreprit de former ses élèves avec cette langue, anticipant ainsi sur un débat qui est aujourd’hui d’actualité. » Depuis l’indépendance en 1960 à ce jour du mois de juin de l’An 2024, 64 ans déjà, de Sédar à Diomaye, c’est toujours la même rengaine, les mêmes fusillades, les mêmes rappels, les mêmes revendications, les mêmes barricades, les mêmes révoltes, les mêmes complaintes, les mêmes râles, les mêmes injures, les mêmes pancartes, comme si jamais rien n’avait été bâti, rien n’avait été réussi. Le Sénégal manquerait presque toujours de tout ! Si Bassirou Diomaye Diakhar Faye qui m’émeut quittait le pouvoir sans avoir décapité alors ce « système » accusé d’ avoir jusqu’ici tout compromis et conduit à cette mutation nauséabonde de l’homo-Senegalensis, nous aurons bu la calebasse de « bissap » faisandé jusqu’à la lie ! Pour le moment « Le Projet » gère « le système » et le fouille. D’un mot, comment s’appellera ce que « Le Projet » aura fini et décidé d’asseoir comme fondement d’une nouvelle République, d’une nouvelle nation, d’une nouvelle société ? Ce nouveau soleil qui s’apprête à se lever devra se lever ailleurs qu’à l’est pour changer la donne et sonner le changement ! Que ce soit déjà bien clair : il nous faut donner à toutes nos langues nationales leur place et tout leur éclat ! Rien ne les remplacera. Senghor, le pauvre, sur lequel on s’est acharné le traitant de Toubab jusqu’à la moelle, nous a confessés qu’il avait laissé, en partant, une solide réforme dans ce sens avec l’apprentissage de nos langues dès le primaire. En 1937 déjà, il y a 87 ans -l’irradiant Cheikh Anta Diop avait 14 ans-, lors d’une conférence sur le « problème culturel en AOF », il préconise le bilinguisme dans l’enseignement en disant ceci : « Il s’agit de partir du lieu et des civilisations négro-africaines où baigne l’enfant. Celui-ci doit en connaitre et exprimer les éléments dans sa langue maternelle d’abord, puis en français. » Le nègre Toubab avait bien devancé les nouveaux révolutionnaires d’aujourd’hui ! Il avait ajouté qu’il nous fallait de très nombreuses thèses sur nos langues, des livres de grammaire, des dictionnaires solides et fiables, avant de s’engager dans une pratique durable et bénéfique et non bâclée et sommaire de la pratique et de l’enseignement de nos langues ! Une langue, on la respecte, on l’élève ! Aller jusqu’au bout de leur combat et de leur « rejet » de la langue française comme langue officielle du SénégalCelles et ceux qui demandent et exigent avec un élan patriotique débordant et rageur mais noble que le Wolof devienne notre langue officielle à la place de cette langue française qui les saoule et qu’il est temps de reléguer au second plan, devraient aussi aller jusqu’au bout de leur combat et de leur « rejet » de la langue française comme langue officielle du Sénégal. Oui, réviser notre Constitution en faisant du wolof notre langue officielle, mais trouver et inventer par la même occasion un nouvel alphabet autre que l’alphabet latin européen qui est le support majeur de notre écriture en langues nationales, même si certaines lettres ou caractères ont été inventé en wolof pour répondre à leur sonorité spécifique ! Effacer pour effacer, faut-il effacer toutes traces des Blancs, autant que faire se peut ! Cela ne serait-il pas ridicule ? Tiens, pour quoi, pour rendre à l’occasion un triomphant hommage à Cheikh Anta Diop, nos nobles pancartiers ne proposeraient-ils pas de quitter l’alphabet latin bicaméral dans sa graphie classique pour l’alphabet égyptien : les hiéroglyphes ? Oui, révolution pour révolution, révolte pour révolte, authenticité pour authenticité, sans rester demi-nègre à mi-chemin entre l’européen et l’africain comme l’exigent les nobles thuriféraires de nos nobles langues nationales, étudions comment la mue totale pourrait se faire sans aucune mitoyenneté avec un quelconque héritage des Blancs ! Tiens, pourquoi alors ne pas rendre ainsi un triomphant hommage à Cheikh Anta Diop, en disant à nos nobles revendicateurs de proposer de quitter l’alphabet latin bicaméral dans sa graphie classique pour l’alphabet égyptien, les hiéroglyphes ? Apprenons que « les hiéroglyphes s’écrivent de gauche à droite comme le français, de droite à gauche comme l’arabe ou l’hébreu, ou de haut en bas comme le chinois. » Tiens, faudra-t-il également cesser définitivement de chanter l’hymne national du Sénégal en français mais uniquement en langue nationale wolof ? Simple question ! Notre drapeau national ne suffit-il pas à lui seul à prouver que nous sommes bien nous-mêmes et fiers de notre identité nationale ni perdue, ni cédée, même en écrivant et en parlant chinois ou russe ? Toutes les langues sont belles ! Le système éducatif sénégalais est-il déjà prêt et bien en avance, prenant en compte l’alphabétisation des élèves du primaire, secondaire, supérieur dans la langue nationale officielle Wolof et pas seulement ? Il nous faudra aussi passer tous nos examens et concours, brevet, baccalauréat en langue nationale. Mais penser où aller après, poursuivre ses études supérieures et sa formation ! Qui acceptera de faire passer le bac en wolof à ses enfants sans des préalables acquis ? Nous faudra-t-il un CAMES -Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur- à nous, pour la reconnaissance, l’assurance-qualité, la validation de nos diplômes en langues nationales pour des formations accréditées ? Rien de tout cela ne s’improvise ! C’est comme la monnaie. Nous y travaillons déjà avec la communauté africaine et il faudra bien parvenir à créer notre propre monnaie en partenariat avec les organismes financiers internationaux en la matière. On ne naît pas seul ! La vérité est qu’il nous faut du temps et moins de hâte, de toc, de vanité, d’orgueil ! Pour nos langues nationales, oui il faut prendre le temps de s’y préparer, de s’organiser, de mettre en place tout l’arsenal pédagogique avec des dictionnaires -dont certains existent déjà-, de multiples livres de grammaire, des programmes pédagogiques, des manuels reconnus et validés au niveau des instances nationales, africaines et internationales compétentes. Nous ne pouvons pas sauter dans le vide et sans parachute ! Ni la demande, ni la volonté politique, ni la question, ne sont nouvelles et ce depuis Senghor jusqu’à Cheikh Anta Diop ! Nous y arriverons si nous y croyons en travaillant et non en improvisant ! Il serait d’ailleurs utile d’avoir les statistiques de la production, de l’appropriation, bref de la consommation par les Sénégalais des productions pédagogiques, littéraires et artistiques produites en wolof ou dans d’autres langues nationales. Pour le secteur du cinéma et de l’audiovisuel, le sous titrage compense l’énigme de la langue étrangère parlée. On lit déjà si peu en français au Sénégal, pire encore au niveau des professeurs de français, comme le rappelait le brillant et époustouflant professeur de lettres et formateur, le Dr Emmanuel Magou Faye ! Qui pouvait et oser le dire mieux que lui ? J’apprends que la Constitution des États-Unis affirme qu’il n’existe pas de langue officielle ! Toutes les langues sont admises au nom d’une démocratie des langues ! Moi qui croyais que l’anglais était la langue officielle des USA ! Que personne ne vienne avec sa machette nous trancher la tête et la langue ! Ceux qui, une fois de plus, n’ont jamais lu Senghor et se sont acharnés et sur le poète et sur l’homme d’État, ont découvert ici combien l’implantation des langues nationales avaient été son sacerdoce. Pour la langue française, il l’avait épousée et avait fait de beaux enfants avec elle, comme tous ses grands et admirables écrivains africains qui, à travers le français ou l’anglais, se sont révélés au monde par des œuvres puissantes, reçus partout et respectés par le monde. Nous n’avons nulle part entendu qu’ils avaient un jour, par révolte, refusé ou rendu leur prix et distinction pour avoir porté très haut une langue qui est devenue la leur et qu’ils jonglent plus que ceux à qui elle appartient et qui l’ont abandonnée à l’Afrique ! La Francophonie, pour la citer la pauvre, atteste de sa survie grâce à l’Afrique qui pare la langue française de tous ses éclats et la nourrit d’igname, de banane plantain, de couscous et de lait de pain de singe ! Cette Francophonie, la France l’a vendue aux enchères dans une salle émue et silencieuse, sans acheteur ! Emmanuel Macron, ce Président qui, qu’on l’aime où qu’on ne l’aime pas, reste un éblouissant orateur, -ses oraisons funèbres sont de véritables chefs d’œuvre comme ceux, jadis, de l’éclectique André Malraux, le possédé- a été le surprenant commissaire-priseur de cette vente bradée, avec à ses côtés, sponsorisé par lui, une gérante générale venue allègrement d’une contrée où le français a été chassé, humilié, décapité, et où l’anglais gouverne. Tel l’a décidé le pays de Paul Kagamé avec souveraineté, un air de mépris et un doigt d’honneur à la France ! A genoux, a suivi, docile, la bénédiction des chefs d’État béni-oui-oui, membres déconnectés et assoupis de l’OIF. Ne cédons rien pour porter nos langues nationales et les porter bien loin, mais sans vouloir effacer toutes les tablettes de Moïse ! C’est ensemble, avec le monde, dans le monde, par le monde, que nous serons les meilleurs parce que porteurs d’ouverture et de respect pour toutes les cultures en étant d’abord nous-mêmes !
Amadoux Lamine SALL PoèteLauréat du Grand Prix International de Poésie africaine, Rabat, Maroc