Après avoir consacré des années à vendre des journaux, le père d’Aly ne s’attendait pas à ce que son propre fils soit un jour évoqué dans la presse. Ne sachant pas lire, il ne sait s’il doit gronder ou féliciter le gamin. Après tout, qu’est-ce qui peut valoir à un enfant talibé des parcelles une mention dans la presse nationale ? La réponse tient en un mot : football. Oui Aly Fouta vient d’intégrer l’école Diambars où il va partager sa chambre avec un enfant chez qui il avait l’habitude de mendier. Il y côtoie aussi Saliou Ciss et Gana Gueye. Le quotidien du groupe Emedia, Bès Bi Le Jour, voyage au cœur du livre du journaliste Ndiassé Sambe qui nous raconte cette histoire dans un style digeste, brillant et rempli d’anecdotes.
L’Appel de Diambars marque un tournant dans la vie de Aly Sileymane Ly. En intégrant la prometteuse école de Football, il n’a pu s’empêcher de constater le contraste entre cette nouvelle aventure et son ancienne vie. Dès ses cinq ans, Aly est devenu un petit berger dans l’aride Fouta et s’est un jour évanoui de soif en menant ses bêtes aux pâturages. A 8 ans, il débarque à Dakar où l’attend la vie de talibé. En dehors de l’apprentissage du Coran et de la mendicité c’est le football qui occupe le temps du jeune garçon. Malgré son petit gabarit, il a un jeu individuel séduisant et un pied gauche magique qui l’aident à se démarquer et à se faire un nom : «Le Ronaldinho de Parcelles». «Un artiste que j’essayais d’imiter même s’il était droitier et moi gaucher», explique Aly. Comme dans chaque histoire, il faut souvent l’intervention d’un mentor pour guider et aider le héros. Ici, ce rôle revient à l’ancienne gloire du football sénégalais Alioune Ndiaye «Gaucher». «Il s’est investi comme jamais aucun de mes proches ne l’avait fait pour que je réussisse dans le foot», explique Aly. En plus de prodiguer encouragements et conseils, c’est lui qui lui achète ses premiers crampons et le présente à Saër Seck l’un des fondateurs de Diambars. Surtout, il s’est employé à convaincre la famille conservatrice du gamin de le laisser répondre à l’appel du ballon rond. Aly ayant entre temps achevé l’apprentissage du Coran, la famille finit par donner son accord à condition que le foot n’altère pas ses croyances et valeurs ainsi que son comportement.
Des prouesses à l’école et des difficultés dans le foot
Après de rigoureux tests de présélection, il intègre l’école de football. Dans la station balnéaire de Saly, une nouvelle vie commence pour le pré-adolescent de 13 ans. Pour l’ancien talibé habitué à un monde d’inégalités où certains enfants ont des droits dont d’autres ne peuvent que rêver, Diambars fait découvrir l’égalité des chances : «J’avais le même lit, les mêmes draps et le même équipement sportif. J’allais avoir les mêmes chances de devenir footballeur professionnel». Diambars dispense aussi un enseignement scolaire rigoureux à ses pensionnaires pour leur donner une chance de réussir en dehors du foot. L’ancien talibé qui n’avait jamais mis les pieds à l’école se retrouve en classe. Aidé par une détermination infaillible et des enseignants chevronnés, il apprend à lire et à écrire. A ses débuts, il est intégré dans la classe F (la classe des fous) qui réunit les pensionnaires ayant un niveau scolaire rudimentaire ou inexistant. A force de travail et de témérité, il intègre finalement une classe régulière et réussit à sauter plusieurs classes. Alors que son intégration scolaire se passait mieux que prévu, son adaptation sportive était un peu plus compliquée. Lui qui était habitué au foot de rue devait apprendre à mieux jouer en équipe et avec des crampons. Aussi, il y avait cette effrayante statistique : Seulement 7% des pensionnaire sauront une chance de signer pro. Aly était tout de même confiant qu’il ferait partie des élus. En attendant, il profitait de chaque instant passé dans cet institut. L’équipe fait des tournées en Europe et Aly rencontre des idoles tels que Vieira, Henry, Ribery, etc.
Une amitié avec Saliou Ciss et Gana Gueye
A l’institut, Saër Seck et Jimmy Adjovi-Boco veillent à la discipline et au bien- être de chaque pensionnaire. Aly se lie tout de suite d’amitié avec Saliou Ciss. Avec Gana Gueye, le lien n’est pas immédiat car les deux jeunes ne sont pas de la même promotion. Par la suite, ayant eu connaissance du statut de Hafiiz du Coran de Aly, Gana le sollicite pour des leçons. «Pendant plusieurs mois, je fus son professeur. Il continue aujourd’hui de m’appeler “Mon Marabout”». De son côté Aly ne tarit pas d’éloges sur le joueur d’Everton. «Pour beaucoup, Idy symbolise à lui seul la réussite du Projet. Il symbolise la philosophie Diambars dans le savoir-être et le savoir-faire. Il a toujours été un leader», explique-t-il.
La fin d’un rêve et le début d’un autre
Pour Aly, le rêve s’arrête 5 ans après sa venue à Diambars. Le couperet tombe lors d’une réunion avec Jimmy Adjovi-Boco. Tout en louant ses qualités humaines et sa progression scolaire, ce dernier adopte la franchise concernant son avenir dans le foot : «Aujourd’hui, le football professionnel demande un certain nombre de qualités. Tu en as certaines mais pas toutes. Et avec ton seul bagage, il est difficile d’envisager une carrière professionnelle en Europe». Pour Aly, c’est «une douche froide, un uppercut, une gifle». Jimmy l’incite à envisager un futur en dehors du foot et le choix d’Aly se porte sur… l’informatique. Un rêve que Diambars aide à concrétiser en aidant Aly à aller poursuivre ses études en France. Cette désillusion, loin de provoquer un ressentiment chez lui a été une occasion de mûrir, d’encaisser les coups de la vie et de se relever pour se livrer à d’autres combats. Après maintes péripéties, Aly Sileymane Ly devient ingénieur en Informatique en France. Durant tout ce parcours, il a pu compter sur l’ombre bienveillante de ses parents, de Diambars et surtout de Jimmy Adjovi-Boco. L’homme qui lui annoncé qu’il n’avait pas d’avenir dans le foot sera un soutien précieux tout au long de sa reconversion.
Le surnom Zam Zam donné à Aly par la bande à Gana Gueye
Avec sa parfaite maitrise du Coran, Aly était considéré comme le marabout de Diambars. En plus de dispenser des leçons sur le Coran, il faisait aussi des prêches dont l’une d’elles viendra écorner ce statut. Il existe une croyance selon laquelle, toute l’eau de la terre devient de l’eau de Zam Zam au lendemain de la tamkharite. Aly dit à ses camarades que le fait de prendre une douche avec cette eau garantissait une immunité contre toute blessure ou maladie pendant au moins un an. Dans le groupe il y avait Gana, Saliou Ciss, Kara Mbodj et Pape Souaré qui se levèrent tous très tôt pour prendre une douche et profiter de cette aubaine. Malheureusement, Saliou Ciss a eu une entorse de la cheville le même jour. «Mon mythe venait de s’effondrer et je venais de gagner le surnom de Zam Zam», se souvient Aly avec humour.
Marly DIALLO