Personnage particulier du monde de l’art sénégalais, Mouhamadou Mbaye, Zulu de son nom d’artiste, célèbre cette année ses 50 ans de carrière. Un prétexte pour Bés bi d’aller à sa rencontre au Musée Théodore Monod où il expose, depuis le 27 octobre, une partie de ses œuvres avec d’autres grands noms de la peinture. Dans cet entretien, il dévoile son art.
Comment se passe votre exposition, «L’Afrique célèbre Zulu Mbaye», qui retrace 50 ans de votre vie artistique ?
L’exposition se passe très bien parce qu’en dehors de la Biennale, on a très rarement une exposition de cette envergure. Et c’est bien que ça soit une expo qui se passe dans une année intermédiaire entre deux biennales, celle de 2022 et la prochaine en 2024. Elle est composée de 12 pays, évidement le Sénégal et 11 pays invités. Donc, nous sommes 46 artistes. J’ai invité des Sénégalais de mon âge et d’autres plus âgés que moi.
Pourquoi avez-vous choisi le Maroc comme pays invité d’honneur ?
Juste une histoire récente. En novembre 2016, j’étais président de l’Association du Village des arts de Dakar, et un jeudi après-midi, je reçois inopinément une visite. Et c’était celle de sa Majesté le Roi du Maroc, Mohammed VI. Pendant deux jours, j’ai eu à l’accompagner à visiter les 52 ateliers qui constituent le Village des Arts. Et en mars 2017, je reçois un coup de fil du Palais Royal qui m’informe que Sa Majesté m’invite pour aller à l’exposition African-Capital qui se tenait dans le musée qu’il a construit récemment au Maroc et qui porte son nom. Le musée d’art contemporain de Rabat. Quelques temps après, il me réitéra son invitation. Et c’est comme ça que je vais connaître un peu les décideurs culturels marocains, tels que son médiateur culturel qui est aussi président de Fondation des musées du Maroc. Et là, va commencer une histoire avec le Maroc qui continue jusqu’à aujourd’hui. Parce qu’en 2018, ils m’ont demandé d’amener cinq artistes sénégalais à exposer au Maroc, après un workshop d’un mois. C’est aussi dans ces intermédiaires que je vais connaitre une galerie à Casablanca qui est la So Art Gallery avec laquelle je suis en contrat. Parallèlement, je suis souvent invité à l’Académie royale pour des rencontres culturelles et à plein de foras, que ce soit au Maroc, ou invité par le Maroc, mais dans d’autres pays, comme récemment à Conakry où j’étais invité par l’ambassadeur marocain, et où j’ai amené trois artistes sénégalais. Voilà ma relation avec le Maroc. Elle vient de sa Majesté qui m’a grandement ouvert les portes de son royaume.
Peut-on dire que c’est le Maroc qui a déclenché votre idée de faire une grande exposition ?
Au fait, ce projet est né au Maroc. Un jour, j’en ai parlé au Directeur général de l’Agence marocaine de coopération internationale. Je lui ai dit que j’aimerais célébrer mes 50 ans et inviter un ou des artistes de la sous-région. Il me dit : «Mais Zulu, je te propose mieux. On invite 10 pays africains qui vont se retrouver à Dakar et te célébrer. Donc, l’idée est née au Maroc et quand je suis arrivé au Sénégal, j’en n’ai parlé autour de moi. Et mon ami Racine Talla de la Rts m’a dit : ‘’On ne peut pas croiser les bras et regarder un pays étranger venir célébrer un fils du pays et ne rien faire.’’ Il m’a dit : «Tu dois rencontrer le Président Macky Sall et lui parler de ce projet et c’est ce qui a été fait. Et ce projet est donc porté par le Maroc et le Sénégal, qui, avec beaucoup de bienveillance, m’a accompagné dans l’organisation financière de cette exposition.
Quand Zulu prend son pinceau, quelles sont les thématiques qui lui viennent à l’esprit ?
J’essaie de parler de ce qui est en moi. Je ne commence pas par avoir un concept en tête, je prends ce que l’instinct me donne. C’est vrai, j’ai eu un vocabulaire plastique, j’ai une palette, mais quand je commence une toile, je fais le vide dans ma tête. Et je pense qu’il y a dans la multitude et l’univers des formes, des couleurs qui existent et qui sont en relation avec ce que nous avons à l’intérieur de nous-mêmes. Je dis toujours qu’il y a comme une sorte d’étincelle divine qui est déposée en chaque individu et qui fait d’ailleurs son humanité. Je pense que ce que je fais, c’est des choses que j’essaie de sortir de mon ventre par cette étincelle qui est une part divine qui est en moi. Je pense que la création, c’est invoquer, convoquer, essaie d’être en relation avec des formes, des couleurs. Parce que notre environnement est plein de choses que nous regardons tous les jours. Partout où tu poses ton œil, c’est un tableau. Notre esprit a besoin d’autres choses, de dépasser les choses connues, les sentiers battus : c’est là qu’on devient un artiste.
Dites-nous, en 50 ans de carrière, ce qui vous a le plus marqué ?
Je précise que je suis dans ma 53e année. Mais c’est en 2019 que j’ai eu l’idée d’organiser ce cinquantenaire qui devait se faire en décembre 2020. Mais le Covid est passé par là et on a reporté, et voilà qu’on arrive en 2023. Mais c’est tout simplement ce besoin de marquer l’histoire parce que 50 an, c’est un marqueur dans une profession. Car, même les gens qui se marient après 30 voire 40 ans, des noces d’or, d’argent, de diamant, c’est pour marquer un temps, pour situer un parcours.
Vous êtes une référence partout dans le monde. Est-ce que vous avez les honneurs du pays ?
Avoir les signatures que j’ai eues autour de moi pour organiser cette exposition, c’est une reconnaissance. Dans ce pays, les gens qui s’intéressent au monde de l’art connaissent bien Zulu. En 1998, j’ai reçu la médaille de Chevalier de l’ordre du mérite. (…). C’est le type de reconnaissance qui prouve qu’on a fait quelque chose pour son pays. Mais pour moi, la véritable reconnaissance durant tous ces 50 ans, c’est aujourd’hui en octobre 2023, où le monde africain me célèbre. Cela me suffit largement. Je serais heureux si je partais demain et que je laisse en souvenir cette manifestation. Et une chose qui me fait beaucoup plaisir, c’est que très souvent, les artistes sont fêtés, célébrés, reconnus et commémorés post-mortem. Mais moi, c’est de mon vivant. Et ça, je pense que c’est la meilleure reconnaissance que je puisse avoir durant ces 50 ans.
D’où vient le surnom «Zulu» et pourquoi avoir choisi ce pseudo ?
Je m’appelle Mouhamadou, du nom du Prophète (SAW). C’est juste que ma peinture porte une identité négro-africaine très forte. Je la revendique, je la revendiquerai toujours. Je ne suis pas de ceux qui refusent le terme «l’art nègre», comme le disait Senghor, qui existe bel et bien. Et je suis un produit de cet art nègre, de cet art africain. Donc, il me fallait un nom qui colle mieux à cette peinture. Parce que je suis musulman, mais je ne suis pas arabe. J’ai donc voulu trouver un nom négro-africain. Et comme j’adore le peuple Zulu, son histoire, sa témérité et tout ce qu’il porte comme histoire, j’ai pris le pseudo «Zulu». Depuis 1981, je signe Zulu sur mes œuvres.
Adama Aïdara KANTÉ et