Les cadeaux offerts aux Présidents dans l’exercice de leurs fonctions se sont invités à deux reprises dans l’actualité sénégalaise. D’abord, il y a eu les cadeaux reçus par le Président Bassirou Diomaye Faye à Touba et à Tivaouane. Puis, il y a eu la mise en vente de la bibliothèque de Senghor. Comment les biens du 1er Président du Sénégal ont été mis en vente par une gouvernante française anonyme ? Qu’est-ce que les autres présidents du Sénégal ont fait des largesses et gratifications reçues au nom de la République ? Quels sont les efforts déployés par le Sénégal pour conserver son patrimoine et son intégrité ? Bés bi revient sur ce qu’il advient des cadeaux présidentiels.
Le collier du Caire
Février 1967. Le Président Senghor effectue une visite officielle au Caire où il est reçu par son homologue égyptien Gamal Abdel Nasser. Au cours de cette visite, le Président-poète est amené à prononcer un discours sur «la négritude et l’arabité» à l’Université du Caire. Pour mieux sceller l’amitié entre les deux peuples et honorer son hôte de marque, l’Egypte lui décerne l’une de ses plus prestigieuses distinctions : L’Ordre du Nil. Il s’agit d’un collier en or 18 carats comportant des symboles de l’Egypte antique. Plus de 50 ans plus tard, ce collier s’est retrouvé entre les mains d’une française parente de l’épouse du Président Senghor. Le collier faisait partie d’une collection de 41 objets ayant appartenu à Senghor et qui devaient être vendus aux enchères par la dame dont l’identité n’est pas révélée. Outre le collier du Caire, il y avait aussi un collier de l’Ordre remis par l’Arabie Saoudite, des médailles remises par l’Espagne et la Finlande, une médaille en métal doré du Festival des arts et de la culture, un stylo en or, etc. Autant d’objets qui ne revêtaient pas une valeur particulière pour elle en dehors de leur coût financier. Pour le Sénégal, cette collection est un pan de son patrimoine national qui n’aurait jamais dû se retrouver en Normandie.
Le patrimoine de Senghor revient à son épouse à son décès
Les cadeaux offerts aux présidents dans l’exercice de leurs fonctions sont en effet considérés comme étant une propriété du pays devant être gardée dans ses musées et non bradée sur la place publique. En octobre 2023, le Sénégal a dû débourser 240 000 euros (161 millions de francs CFA) pour s’adjuger un dû. Comment le patrimoine du 1er Président du Sénégal s’est-il retrouvé entre les mains d’une française anonyme ? Après avoir quitté la Présidence en 1980, Senghor s’est installé à Verson en Normandie dans une résidence bourgeoise appartenant à son épouse Collette Senghor. Le couple soudé par un amour fusionnel et le chagrin d’avoir perdu leur unique enfant y mène une existence paisible faite d’études, de poésie et de promenades en campagne. A son décès en 2001, un seul des enfants de Senghor est encore vivant. Il s’agit de son ainé Francis-Arfang Senghor, 76 ans, né d’une précédente union et qui serait confronté à des problèmes psychiatriques. Le patrimoine du défunt revient donc à l’épouse.
Un pan du patrimoine du Sénégal légué à la ville de Verson et à des parents de Colette Senghor
Affectée par le deuil et plus tard la maladie, Colette Senghor a de plus en plus de mal à entretenir la demeure et ce qu’elle abrite de mobilier, d’objets de valeurs, d’œuvres d’art, d’archives, de livres, etc. Dès 2004, elle s’engage à léguer ses biens à la commune de Verson à condition que la maison soit accessible au public. Marché conclu. Mais entre-temps, les archives se dégradent et il devient urgent d’agir. En 2015, la ville vote un budget de 180 000 euros (117 millions FCFA) destiné à dépoussiérer, restaurer et conserver les archives du Président. Le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne est d’ailleurs impliqué dans ce travail titanesque. Pour le maire de Verson, cette collection a une valeur inestimable : «Nous avons ouvert des caisses et des caisses d’archives ! Certaines comprennent notamment des photos, où M. Senghor pose avec Gandhi, Kennedy, la Reine d’Angleterre, etc… C’est un homme qui a traversé les siècles!», relate-t-il à Normandie Actu. Colette Senghor décède finalement en 2019. Son patrimoine qui inclut aussi celui de Senghor est partagé en deux. Une part considérable dont la maison revient à la ville tandis que l’autre part est reversée à sa sœur. Les 41 objets rachetés par le Sénégal faisaient partie de la collection léguée à la sœur décédée deux ans après. Les biens sont par la suite revenus à la gouvernante de Mme Senghor, nous renseigne Sally Alassane Thiam, Directeur d’Afrique Patrimoine. Les cabinets chargés de la vente ne révèlent cependant pas l’identité de la vendeuse pour préserver son anonymat. A noter qu’auparavant, un tableau d’art acquis par Senghor en 1956 a été légué à la sœur de son épouse qui l’a légué à une amie. Le tableau signé Pierre Soulages a été vendu aux enchères en 2023 pour la somme de 1,5 millions d’euros (près de 1 milliards de FCFA).
Le Sénégal hérite de la dépouille de Senghor en attendant sa bibliothèque
22% de la somme versée par le Sénégal est revenue aux cabinets français de commissaires-priseurs qui ont procédé à la négociation et à la vente. On est face au même schéma avec la vente de la bibliothèque que le Sénégal est en train de négocier. Il s’agit de 340 œuvres comportant des dédicaces à l’honneur de Senghor. Le catalogue de vente consulté par le journal Le Monde renseigne sur le prix des livres estimé entre 10 et 40 euros chacun (entre 5000 et 20 000 FCFA). Les 41 biens acquis en 2023 ont été attribués au Musée Senghor et au Musée des Civilisations noires. La bibliothèque pourrait connaitre le même sort, si le Sénégal parvient à l’acquérir. Il ne s’agit pas dans ce cas-ci de restitution d’œuvres africaines pillées mais de rachat d’un patrimoine culturel délibérément offert par le Président Senghor et son épouse. Dans le testament de Senghor, la part qui revient au Sénégal est sa dépouille inhumée au Cimetière de Bel-Air et rejointe près de 20 ans plus tard par celle de son épouse. Le couple est réuni pour l’éternité au Sénégal. En attendant d’être rejoint par son patrimoine ?
Marly DIALLO