Il tombe des pluies diluviennes sur le Sénégal en ce mois d’août. En principe, personne ne doit être surpris. Car la météo avait prévu, prévenu et de surcroît annoncé cette générosité débordante du ciel. De même que l’afflux d’eau provenant des plateaux du Fouta Djallon, où le fleuve Sénégal prend sa source. Tout un chacun devrait prendre des dispositions pour être moins impacté, moins affecté.
L’organisme de prévision, par ses anticipations, nous mettait face à la contradiction du désir de vivre et du pouvoir de vivre. Au cœur de ce préoccupant souci, l’eau qui suscite la hantise. Par les quantités déversées, plusieurs affluents renouent avec un débit inhabituel et forment des confluents qui serpentent les plaines, les vallées et certains plateaux de l’est du pays où des ponts et des bretelles cèdent les uns après les autres.
Ce déluge, digne de l’épouvante, hante le sommeil des populations dont certaines, brutalement réveillées demeurent tétanisées par l’étendue des zones affectées et l’ampleur des dégâts occasionnés.
Les fleuves Gambie et Sénégal sortent de leur lit, inondent les aires alluviales, encerclent puis isolent des villages ou des communes entiers et coupent les voies de liaisons devenues impraticables à divers endroits. Ce n’est pas l’apocalypse. Mais le chaos installe un climat anxiogène aux quatre coins du Sénégal qui découvre la modicité de ses moyens de riposte et l’inorganisation des secours rapides en faveur des victimes collatérales.
C’est à croire que les Sénégalais n’aiment pas l’eau. Elle leur inflige des malheurs millénaires et dégradent leurs conditions de vie en envahissant leur espace vital. Privés de tout, nos compatriotes confrontés à ce cumul de fléaux deviennent des otages émotionnels dont les narratifs saturent les réseaux sociaux, non sans délectation d’ailleurs ! Le malheur des uns…
Ainsi, le mal récurrent du Sénégalais c’est de toujours « dégager en touche », de «désigner un bouc-émissaire », de « diluer sa propre responsabilité » et de « s’apitoyer sur son sort ». Cela le conforte et le dédouane même devant des « scènes sidérantes et délirantes » à la fois.
Dans les temps anciens, la saison des pluies n’était pas une hantise. Au contraire, à l’unisson, les cœurs se réjouissaient du parfum d’hivernage… L’enthousiasme se lisait sur les visages des ruraux venus en ville se faire un « peu de pognon ». Le retour vers la campagne était tout aussi enthousiasmant.
Le mouvement pendulaire a cessé et l’exode s’est accentué plus que de raison, vidant les villages et gonflant les alentours des villes avec l’espoir d’y mener une vie meilleure. Les signes du cauchemar (ou de la galère) se manifestaient dans le mal-vivre urbain avec ses cohortes d’illusions.
A chaque saison des pluies, le phénomène se reproduit presque à l’identique. Un scénario connu d’avance !
En revanche, jamais le pays ne semble se préparer conséquemment pour atténuer les souffrances, abréger les maux et surtout préconiser des solutions qui s’inscrivent dans la durée en combinant efficacité et efficience. Les régimes se succèdent sans esprit de coordination pour « se passer le relais ».
De Wade à Diomaye en passant par Macky, les contextes diffèrent mais les solutions pérennes ont toujours été différées au profit d’opérations d’un éclat aveuglant. Vaniteux à égo surdimensionné, les hommes politiques sont adeptes des approches clivantes. Ils s’efforcent toujours de « sentir les choses » avant de se décider à agir dans un sens ou dans un autre.
Leur troublante versalité sur la lancinante question des inondations, intrinsèquement liées au réchauffement climatique, s’explique par la recherche effrénée de gains politiques que les uns et les autres guettent opportunément. Inlassablement.
Ils détestent subir et s’esbignent à la moindre difficulté quitte à déserter les lieux de calamité. En outre ils adorent les effets de manche juste pour impressionner et s’attirer sous une charge émotionnelle, les faveurs des populations qui, le temps d’une incursion présidentielle, se masse le long d’un itinéraire aléatoire pour applaudir le cortège de circonstance.
A quoi riment ces visites inopinées mais discrètement orchestrées si elle se limitent juste au constat et à un haussement d’épaules ! Le Président Wade et l’ancien Premier Ministre Abdoul MBaye avaient « mouillé » le maillot en chaussant des bottes visibles en gros plan à la télévision.
Scénario similaire pour Macky qui n’hésitait par un moment à utiliser la puissance des 4X4 pour suggérer implicitement que les « gros moyens suivront ». Le nouveau Président Diomaye a inscrit son action dans cette procession interminable des ballets scéniques. Il y ajoute, pour faire chorus, une touche d’humanité enveloppée dans une posture de modestie non feinte.
Tous ces assauts d’amabilités ne suffisent pas quand bien même elles comptent dans un pays qui récuse l’impudence et se veut pudibond. L’année dernière le Chef de l’Etat était du côté de Kédougou et avait même survolé en hélico la zone sinistrée de la Falémé afin d’apprécier l’envergure du désastre.
Qu’ont-ils fait au-delà des gestes de grandiloquence ? L’on ne saurait leur contester la bienveillance affichée. Pour autant les mots ne soulagent pas les maux. Et ils doivent s’apercevoir que le discours décline parce que l‘action ne suit pas. Un tel détachement qui s’observe, a valeur de divorce avec les séries d’exécutifs représentatifs des élites méprisantes.
Ce faisant, les politiques tirent très peu d’enseignements de leurs prédécesseurs et ils excluent de laisser pour la postérité des œuvres qui entretiennent le souvenir et mettent en lumière l’imaginaire. Dès lors, quels objectifs poursuivent les dirigeants en décaissant d’épais budgets dédiés à des interventions démonstratives ? Eux seuls le savent. La cohérence ne les habite pas. Alors pas du tout. Et les voilà qui jonglent au « cas par cas » ! Or les urgences ne se règlent pas « au cas par cas ». De fait, s’impose une cohérence d’ensemble. Autrement, ils se seraient souciés de cartographier les zones « non aedificandi » impropres à l’habitat en raison de contraintes multiples.
Cette légèreté insoutenable est à l’origine du désordre de l‘habitat tant en ville qu’en campagne : absence d’assainissement, promiscuité, explosion démographique, déficit chronique d’infrastructures et d’accès aux services de base. Le tout couronné par des pratiques répréhensibles d’hommes liges en complicité avec des « mains invisibles » de silhouettes chinoises tapies dans les hautes sphères de décision. L’indifférence des pouvoirs publics étonne.
D’où la ruée massive vers ces terres de captage. L’empressement et le goût du résultat immédiat biaisent leur maîtrise des temporalités. Au même moment foisonnent dans les médias et les réseaux sociaux d’effrayantes images mettant en exergue le vécu des populations obligées de quitter maisons et biens sous la contrainte et les pressions. Le désarroi est perceptible, accentué il est vrai par les lenteurs de mobilisation et les difficultés d’accès aux sites répertoriés.
Malgré le désamour, et loin d’être l’ennemie, l’eau est bien l’alliée naturelle du… Sénégalais !
Par Mamadou NDIAYE