Dans une lettre ouverte au ton grave, l’avocat franco-sénégalais Robert Bourgi exprime ses inquiétudes quant à la situation politique, économique et judiciaire du Sénégal. Une adresse directe au président Bassirou Diomaye Faye et à son Premier ministre Ousmane Sonko, à l’issue du dialogue national du 28 mai.
« J’ai peur pour le Sénégal. » C’est en ces termes que Robert Bourgi résume sa profonde inquiétude dans une lettre rendue publique ce week-end. L’avocat et figure influente de la sphère politique sénégalaise et africaine a tenu à s’adresser directement aux plus hautes autorités de l’État, évoquant une situation nationale « préoccupante » et une gouvernance « qui patine ».
Dans ce texte au ton franc, Bourgi rappelle d’emblée qu’il a soutenu les leaders du parti Pastef, y compris pendant leurs incarcérations. Mais il revendique aussi sa liberté de parole : « Je suis loyal, mais ma liberté n’a pas de prix. » Il dit n’attendre rien du nouveau pouvoir, sinon qu’il assume ses responsabilités devant les Sénégalais.
Bourgi revient sur plusieurs épisodes récents pour illustrer son propos. Il évoque notamment les difficultés économiques croissantes, la défiance des partenaires financiers internationaux, et un recours accru à l’endettement, parfois, selon lui, « sans vérification de l’origine des fonds ». Il alerte sur les risques de financement occulte liés à la drogue, au terrorisme ou au blanchiment.
Mais c’est surtout la question de la justice qui suscite son inquiétude la plus vive. Il dénonce une institution perçue comme partielle et instrumentalisée : « Une justice à sens unique, au service d’un homme ou d’un parti. » L’avocat appelle à faire toute la lumière sur les violences politiques ayant entraîné plus de 80 morts ces dernières années, et exhorte le pouvoir à appliquer sans délai les sanctions attendues après l’abrogation de la loi d’amnistie de mars 2024.
Il s’insurge également contre les arrestations de plusieurs figures de l’ancien régime, notamment des femmes ministres telles que Sophie Gladima, ou encore Mansour Faye, Lat Diop et Farba Ngom, questionnant les fondements juridiques de ces détentions. « La justice ne doit pas devenir un outil de vengeance », avertit-il.
L’état du Port autonome de Dakar est aussi évoqué comme symbole d’un climat économique dégradé : licenciements massifs, entreprises étranglées par la fiscalité, confiance des investisseurs en berne. Il déplore la perte de dynamisme d’une diplomatie sénégalaise autrefois reconnue et pointe, à titre d’exemple, l’échec récent de la candidature d’Amadou Hott à la présidence de la BAD comme une humiliation sur la scène internationale.
« Le peuple a voté dans l’espoir le 24 mars 2024. Aujourd’hui, cet espoir s’effrite », déclare Robert Bourgi, qui appelle le président Faye et son Premier ministre à ne pas céder « à la tentation de la revanche » et à gouverner avec hauteur. Il leur rappelle enfin que « l’Histoire les jugera » et que « seule une politique d’unité, de justice et de paix » permettra d’éviter le pire.
Dans un dernier avertissement, il conclut : « Un pays qui se divise… est un pays qui meurt. »
Par cette lettre, Robert Bourgi rejoint la liste des voix critiques qui, tout en ayant soutenu l’alternance, interpellent désormais le pouvoir sur les dérives potentielles et les attentes pressantes d’une population en quête de stabilité.
Emedia