Le dialogue national initié par le Président de la République, Bassirou Diomaye Faye, peut, à mon avis, être interprété de différentes manières.
– Un besoin d’élargir sa base politique ?
Même s’il est issu de Pastef et fortement associé à Ousmane Sonko, le Président Bassirou Diomaye Faye a été élu sur une base de coalition (la coalition Diomaye Président).
Il n’a pas été élu par les seules forces propres de Pastef.
Par ailleurs, généralement, une fois porté au pouvoir, il est logique qu’un Président de la République cherche à élargir sa base pour gouverner efficacement.
Cela peut inclure une politique d’ouverture à des opposants ou à des figures issues d’autres partis, pour stabiliser le pays ou pour garantir des réformes à consensus forts.
Dans ce sens, et au regard du contexte politique sénégalais actuel, le dialogue national pourrait bien servir à nouer de nouvelles alliances, non pas forcément contre Pastef, mais pour gouverner avec plus de latitude et d’équilibre.
– Un rééquilibrage du pouvoir au sein de l’exécutif ?
Il est aussi possible que le Président de la République, Diomaye Faye, veuille s’affirmer davantage comme président à part entière, et non simplement comme l’exécutant de la vision de Sonko.
Le dialogue national peut alors être un levier pour affirmer sa propre posture politique, en cultivant un style plus rassembleur, institutionnel, voire présidentiel – en contraste avec le style plus militant et clivant de Sonko.
D’ailleurs, sa posture lors du dialogue du 28 mai en dit long. Il a pris la posture d’homme d’État, restant sur son sujet et ne répondant à aucun politique frontalement.
Rester ouvert à d’autres sensibilités pour un Sénégal plus apaisé ne signifie pas nécessairement reléguer le Pastef, très sectaire, au second plan. Plutôt, créer une différenciation stratégique pour affirmer son autorité et sa légitimité personnelle. Il ne faut pas oublier que Diomaye est aussi un politique.
– Un calcul à long terme ?
Il est tout à fait envisageable que le Président Diomaye Faye, en bon politique, pense déjà à l’avenir, notamment à une éventuelle réélection ou à la gestion post-Sonko.
Dans un contexte où Pastef est très identifié à un homme (Sonko), élargir son réseau et bâtir une légitimité autonome est une forme d’anticipation.
NB : Diomaye n’a pas d’appareil politique. Le Pastef ne croit qu’à Ousmane Sonko.
Son ouverture pourrait, à terme, lui permettre de ne pas être totalement dépendant de Pastef.
Lors de son discours, l’ancien PM a d’ailleurs salué expressis verbis son ouverture, en qualifiant le dialogue.
Il est donc possible que ce dialogue national réponde à plusieurs objectifs à la fois :
• apaiser le climat politique,
• inclure des forces jusque-là marginalisées,
• affirmer l’indépendance politique du président,
• et préparer les équilibres futurs.
Il s’agira, pour le Président de la République Diomaye, d’un jeu d’équilibre subtil entre loyauté, stratégie et construction personnelle du pouvoir.
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Attardons-nous sur Ousmane Sonko
L’attitude récente d’Ousmane Sonko vis-à-vis du dialogue politique – qu’il a jugé “inopportun” – et son silence calculé en tant que chef de parti soulèvent, à mon avis, plusieurs hypothèses sur la nature réelle du rapport entre Diomaye Faye et Sonko, souvent présenté comme une alliance fusionnelle.
Toutefois, cela pourrait cacher des tensions, ou du moins des différences d’agenda et de posture politique. Ce qui est naturel.
1. Une alliance fondée sur la complémentarité…
Diomaye et Sonko sont issus du même moule idéologique (antisystème, souverainiste, panafricaniste). Leur parcours est étroitement lié :
• Diomaye est un pilier de Pastef depuis ses débuts,
• Il a été présenté comme le “plan B” quand Sonko a été écarté de la présidentielle, même s’il a cravaché pour passer candidat.
Seulement, il ne faut pas se tromper :
👉 Leur proximité était avant tout stratégique, imposée par les circonstances (arrestation de Sonko, échéances électorales, pressions institutionnelles).
👉 Diomaye, bien qu’effacé dans les médias, a toujours été perçu comme un homme d’appareil, rigoureux, structuré, plus modéré, ce qui complète le profil plus charismatique et clivant de Sonko.
2. Une dissociation progressive des rôles
Depuis l’accession au pouvoir de Diomaye, une séparation fonctionnelle semble s’opérer :
• Diomaye est dans la posture du chef d’État, soucieux de gouverner, d’apaiser, de dialoguer – même avec les anciens adversaires.
• Sonko reste dans la posture du leader de mouvement, gardien de l’idéologie, de la radicalité, et de la base militante.
Le dialogue national est très révélateur :
• Pour Diomaye, c’est une ouverture institutionnelle.
• Pour Sonko, c’est un risque de dilution de la ligne dure de Pastef, voire de récupération par le “système” qu’ils ont combattu.
👉 Leur silence respectif ou leurs prises de position en parfaite contradiction peuvent aussi montrer que la ligne de fracture n’est pas une rupture, mais une divergence de méthode.
3. Une compétition douce, mais réelle ?
Diomaye, élu président, prend de plus en plus d’autonomie. Il bénéficie désormais :
• de la légitimité populaire directe,
• du contrôle de l’appareil étatique,
• de relations diplomatiques internationales (ce que Sonko ne maîtrise pas encore totalement).
Cela crée un rééquilibrage des forces :
• Diomaye pourrait chercher à se détacher de l’ombre de Sonko, sans l’affronter frontalement.
• Sonko, de son côté, doit préserver son image de figure incontournable de l’opposition, quitte à apparaître parfois en contre-pouvoir interne.
👉 On pourrait donc assister à une compétition feutrée entre l’homme de l’État (Diomaye) et l’homme du parti (Sonko).
4. Le dilemme de Pastef
Le parti Pastef se trouve à la croisée des chemins :
• Soit il accepte de se fondre dans l’exercice du pouvoir, quitte à se “normaliser”,
• Soit il reste un parti de rupture, fidèle à sa base contestataire.
Or, Diomaye et Sonko n’ont pas exactement la même vision de ce que doit être Pastef dans ce nouveau contexte.
C’est assez paradoxal d’ailleurs. En effet, tous les deux exercent le pouvoir actuellement, aux niveaux les plus élevés.
Revenons au dialogue
Le silence de Sonko lors du lancement du dialogue est révélateur.
Il a observé. Il était aussi très avare en paroles. Enfin, il a laissé Diomaye “prendre ses responsabilités”. Ce qui peut être interprété comme une forme de test de loyauté ou de prise de distance stratégique.
Il n’y a pas encore de rupture frontale. Cependant, une lecture simple peut faire transparaître un glissement de pouvoir et d’autorité.
Le tandem Diomaye–Sonko est aujourd’hui traversé par des tensions latentes, qui dépendront beaucoup :
• de la capacité de Diomaye à gouverner sans heurter trop vite la base,
• et de la manière dont Sonko choisira d’évoluer : en mentor bienveillant ou en rival critique.
Aboubacry Thiam