Le Sénégal s’apprête à rejoindre les pays producteurs de gaz et de pétrole. Les projections de recettes attendues de l’exploitation des hydrocarbures, provenant des projets Gta et Sangomar, sur la période triennale, sont estimées à un montant global de 753,6 milliards FCFA, d’après le Document de programmation budgétaire et économique pluriannuelle (Dpbep 2024-2026). Une opportunité pour l’Etat de mobiliser des ressources et de prendre en charge les préoccupations sociales. Ainsi pour Bès Bi le Jour, la transparence dans la gestion des hydrocarbures et le contrôle des coûts demeurent les conditions nécessaires pour tirer profit et éviter la malédiction du pétrole et du gaz au Sénégal.
2024, une année spéciale dans l’exploitation et la production des hydrocarbures au Sénégal, après plusieurs reports annoncés. L’Unité flottante de production, de stockage et de déchargement (Fpso) dénommée Léopold Sédar Senghor est arrivée sur le champ pétrolier de Sangomar, ainsi que l’Unité flottante de gaz naturel liquéfié (Flng) destinée au projet de gaz naturel liquéfié (Gnl) de Greater Tortue Ahmeyim (Gta). L’Etat compte tirer profit de ses ressources extractives pour prendre en charge des questions sociales axées sur le désenclavement, l’équité spatiale, la mise aux normes des hôpitaux, l’accès universel à l’eau, à l’énergie, à l’assainissement et à l’éducation, la lutte contre les inondations et les filières porteurs de l’agriculture pour bâtir une économie résiliente. D’après le Document de programmation budgétaire et économique pluriannuelle (Dpbep 2024-2026), les projections de recettes attendues de l’exploitation des hydrocarbures, provenant des projets Gta et Sangomar, sur la période triennale sont estimées à un montant global de 753,6 milliards FCFA, sur la base des hypothèses d’un taux de change Dollar/FCFA fixé à 655 FCFA, du prix du baril du pétrole à 85,5$ et de 10% du cours du Brent pour le gaz. Afin d’éviter la malédiction du pétrole et du gaz, des rapports et contributions des chercheurs suggèrent au Sénégal de prendre en compte plusieurs volets.
La transparence dans la gestion du pétrole et du gaz
L’État montre la volonté d’une utilisation transparente des ressources issues des hydrocarbures. L’article 25 de la Constitution stipule que les ressources naturelles appartiennent au peuple sénégalais. D’ailleurs, le Président Macky Sall a souhaité que la concertation nationale sur la gestion des recettes issues de l’exploitation du pétrole et du gaz soit établie en présence de toutes les forces vives de la nation : «Les institutions de la République, les autorités religieuses et coutumières, les centrales syndicales des travailleurs, le patronat, les organisations des paysans, de la société civile, du monde politique, de la jeunesse, des femmes et des citoyens». En plus du Code pétrolier, le Sénégal a mis en place la loi n°2022-09 avril 2022 relative à la répartition et l’encadre- ment de la gestion des recettes issues de l’exploitation des hydrocarbures. «Cette loi, en son article 5, fixe les orientations qui sous-tendent la gestion des recettes d’hydrocarbures, elle-même soumise aux principes de sincérité, de transparence, de suivi et de contrôle définis par la loi organique relative aux lois de finances et par la loi portant Code de transparence dans la gestion des finances publiques», note le Dbpf. Les orientations de cette loi précisent la répartition des ressources d’hydrocarbures entre le budget général (maximum 90%), le fonds intergénérationnel (minimum 10%) et le fonds de stabilisation alimenté suivant le mécanisme décrit dans la loi. Dans une nouvelle note intitulée «Gestion des revenus pétroliers et gaziers du Sénégal», «Natural resource governance institute» (Nrgi) suggère au gouvernement d’abandonner son plan visant à investir les revenus tirés de l’exploitation des hydrocarbures dans un fonds souverain et un fonds de stabilisation. «Nous soutenons que les autorités devraient envisager de se concentrer sur l’investissement des revenus tirés des ressources naturelles au niveau national et faire passer ces investissements par le budget général, afin de renforcer le contrôle des finances publiques», souligne le rapport du Nrgi, suggérant une réforme en profondeur du Fonds souverain d’investissements stratégiques (Fonsis), seul moyen de favoriser la transparence et la bonne gestion des ressources financières. De leurs côtés, les acteurs de la société civile restent mobilisés pour exiger la transparence dans la gestion des hydrocarbures, condition sine qua non pour tirer profit des ressources pétrolières et gazières.
Surveiller les coups des coûts
Le ministère des Finances et du budget compte mobiliser des recettes fiscales dans les activités des hydrocarbures. Ces recettes comprennent le produit de l’impôt sur les sociétés, le produit de l’impôt sur le bénéfice non-commercial des sous-traitants internationaux, les droits de douane de sortie, les taxes additionnelles, etc. Mais, «il est important de surveiller les coûts qui sont engagés durant le développement et l’exploitation», a déclaré le ministre sénégalais du Pétrole et des énergies, Antoine Félix Diome. «Le brut analysé dans le détail» : «Audits publics des coûts des projets pétroliers et gaziers en vue d’optimiser la collecte de recettes», un rapport publié par Oxfam en 2018 met en lumière les caractéristiques du secteur pétrolier et gazier, combinées au système fiscal à l’international, qui permettent aux compagnies d’échapper à l’impôt. D’après le rapport, le gonfle- ment des dépenses des compagnies représente une grande menace pour les recettes publiques découlant du pétrole et du gaz. Plus les entreprises déclarent des coûts, moins il y a des bénéfices à imposer, ce qui signifie que le gouvernement recouvre moins de recettes.
«Les projets pétroliers et gaziers consomment beaucoup de capitaux. Les coûts déduits par les compagnies pétrolières et gazières ont tendance à être élevés, tant en valeur absolue que relativement aux recettes brutes. Chaque dollar de recettes obtenues par une compagnie, au moins 0,40 dollar est dépensé sous forme de coûts. Par conséquent, même une légère surestimation des coûts a une incidence majeure sur les recettes publiques», note le rapport. Selon Africa Intelligence, les coûts de Bp ont atteint aujourd’hui près de 9 milliards de dollars. Ce qui a poussé le Sénégal et la Mauritanie à engager un audit du projet Gta. Le rapport d’Oxfam identifie plusieurs défis à un contrôle efficace des coûts du secteur pétrolier au Ghana, au Kenya, et au Pérou, lesquels peuvent être pertinents pour le Sénégal qui s’apprête à exploiter ses hydrocarbures. Il formule une série de recommandations qui aideraient à mieux limiter le risque de sur-évaluation des coûts, grâce à des contrôles efficaces. Oxfam suggère aux pays producteurs d’examiner et renforcer les contrôles juridiques des coûts et d’élaborer soigneusement les lois qui déterminent le traitement ou l’admissibilité des coûts, de manière à ce que les inspecteurs disposent des outils juridiques nécessaires à la protection des ressources de l’État. Veiller à ce que les délais de vérification et les exigences en matière de tenue de registres soient suffisamment longs et à ce que les coûts soient vérifiés le plus tôt possible après leur apparition. «Les gouvernements doivent effectuer des contrôles le plus tôt possible, dès le début des activités des compagnies pétrolières, plutôt que d’attendre que les recettes ne commencent à affluer», recommande le rapport.
Fodé Bakary CAMARA