En tête de l’agenda politique du Sénégal en 2024 figure l’élection présidentielle du 25 février prochain. Si peu de gens avaient l’esprit à la fête avec l’année 2023 qui finissait, beaucoup, en revanche, trépignent d’impatience et des voix confuses s’en mêlent pour brouiller le chemin vers ce vote majeur dans notre pays.
En attendant, le président de la République a fait dimanche ses adieux à la nation. Dans un style sobre, sans emphase, il a salué le peuple, le prenant à témoin des progrès accomplis et des commodités obtenues dans bien des domaines grâce aux mobilités et au bien-être.
Le sentiment d’abandon n’habite plus les ruraux. Et les citadins se plaisent à découvrir le « pays profonds ». À qui cela profitera-t-il en termes de gains électoraux ?
Macky Sall a conscience qu’une œuvre humaine « n’est jamais parfaite ». Reste une singularité qui lui est propre : c’est un bâtisseur. Le maillage du pays en infrastructures porte sa signature. Laquelle souligne avec netteté son penchant naturel d’ingénieur.
C’est aussi son mérite. Puisqu’il a fait mieux que ses prédécesseurs dans l’édification d’ouvrages devant permettre le « réveil » des régions face à l’hypertrophie de Dakar.
À l’arrivée le déséquilibre persiste toujours quand bien même le volontarisme de l’État a favorisé la conjugaison des efforts pour l’émergence d’un état d’esprit certes fécond mais gouailleur, inventif mais paresseux, entreprenant mais impudent.
Ce dernier trait de caractère décrit l’évolution négative des conduites collectives amplifiées par les réseaux sociaux qui « tuent » l’opinion publique et affaiblissent par conséquent la démocratie.
Le phénomène a surgi ces quinze dernières années coïncidant (presque) avec l’arrivée au pouvoir de Macky qui n’avait plus de « mandat électif ». L’a-t-il vu venir ? A-t-il pu en saisir la portée pour endiguer la violence que les réseaux sociaux charrient ?
Le président sortant n’a jamais été à l’aise avec ce grand oral à ciel ouvert ! Il redoutait le contre-pouvoir qu’ils représentaient et les discours de « haine » véhiculés. Il a eu maille à partir avec ce « monstre chaud » caché derrière la machine pour orchestrer les ripostes ou mener les offensives en fonction des intérêts des « mains invisibles » qui actionnent à leur tour des leviers imprévisibles.
Macky Sall a déploré le surgissement « incontrôlé » de cet adversaire à la manette d’un « nouvel ordre digital » en marche. La vie publique va se modifier. Tout comme la vie politique s’en trouve profondément impactée. Rien qu’en observant les connivences actuelles, il est permis de deviner les mutations sur fond d’affaissement sans précédent d’un nombre encore plus grand de valeurs auxquelles la société sénégalaise reste attachée.
Sous ce rapport, son discours sonne comme une alerte. S’il a décliné les grandes lignes de son bilan, Macky Sall a indiqué qu’une étude plus circonstanciée fera (bientôt) l’inventaire d’une décennie de sa gouvernance. Il peut bien se prévaloir d’un bilan « globalement satisfaisant ».
Mais il sait mieux que quiconque que sa trajectoire ne fut pas linéaire. Loin s’en faut. Et le peu de temps qu’il lui reste à la tête de l’État ne suffirait pour défendre un bilan jugé « honorable » par plus d’un.
En convoquant l’histoire pour justifier sa pratique politique, le président de la République ne dissocie pas la conquête du pouvoir de l’exercice du pouvoir. Or plus qu’une nuance, il s’agit d’une différence ? Et elle est de taille. Des promesses imprudentes ont été faites. Ont-elles été réalisées dans les faits ?
Son divorce avec les jeunes remonte à cet engagement pris de créer près de cinq cent mille emplois par an pour résorber le chômage qui frappe les couches juvéniles. A cette césure s’est ajoutée la fronde de « compagnons de route » abandonnés sans précaution sur les bas-côtés avec le risque de grossir les rangs des frustrés.
Optant pour le pragmatisme dans le silence et faisant fi des invectives, il a privilégié l’action plutôt que la parole. Mais la parole nuit et, plus grave, elle détruit ou… déconstruit. Aussi bizarre que cela puisse paraître, la médisance a projeté sur ses réalisations l’effet d’un miroir renversé.
Par cette stratégie infamante, s’est glissée une rupture d’opinion qui lui a été fatale. Les mêmes contempteurs ont distillé à petits feux des diatribes visant à confondre famille et pouvoir en pointant du doigt une boulimie ou une accentuation de l’accaparement.
Naturellement ses proches, à l’exception d’un ou de deux membres notoirement connus, n’ont pas dissimulé leur proximité sans pour autant s’afficher ostensiblement. A leur corps défendant toutefois, la posture de modestie et le refus de briller sous les projecteurs n’ont pas servi à les disculper.
Avec le départ de Mimi Touré et les remous provoqués par l’élection de Amadou Mame Diop à la tête de l’Assemblée nationale, sous forte surveillance de la gendarmerie nationale, s’opérait inexorablement une seconde rupture, plus politique celle-là, sans que cela se traduise par un rétrécissement de la majorité autour de l’Alliance Benno Bokk Yakaar (BY). Sans compter les revers électoraux à divers échelons…
Un temps, le retour de Idrissa Seck dans le giron du pouvoir a constitué un répit mais de courte durée puisque l’intéressé est vite reparti en campagne pour mobiliser ses troupes en vue de la présidentielle de février prochain.
En raison de plusieurs défaillances, le bilan politique de Macky s’avère mitigé, et à bien des égards, « calamiteux », selon un allié. Un autre murmure que le Président ne tranche pas les litiges, ne dissipe pas non plus les malentendus entre ses lieutenants, et le silence qu’il observe « tout un chacun l’interprète à sa manière ».
Pour n’avoir pas autant promis que son illustre prédécesseur, Maître Abdoulaye Wade, il enregistre néanmoins plus de déconvenues. Cruel. Une pratique chaotique du pouvoir ? Le régime n’a pas su (ou pu) contenir les assauts répétés du jeune leader de l’opposition, Ousmane Sonko en l’occurrence.
Remuant plus que jamais, ce dernier a donné du fil à retordre à un pouvoir en manque d’inspiration, toujours dans la réaction et tatillon dans la gestion politique des très nombreuses affaires judiciaires qui s’enchaînent à un rythme époustouflant.
Ces tensions intempestives révèlent un déficit chronique de dialogue politique qui était une marque de fabrique de la démocratie sénégalaise. N’est-ce pas Maître Wade ?
De ce point de vue les choix du Président étaient illisibles. Puisqu’aucun d’eux ne s’imposait, la dilution de l’autorité accouche d’un excès d’irresponsabilité collective. En n’imposant pas de choix clairs, il n’indique pas la voie. Dès lors, plus personne ne monte au créneau pour défendre avec vaillance le mentor qui se sent isolé, moins fréquenté et très peu soutenu. Qui disait que le pouvoir s’exerce dans la solitude ?
Par Mamadou NDIAYE