Les industriels de la filière anacarde se sont retrouvés hier à Kolda pour faire un point sur le démarrage de la campagne 2025.
Si je devais décrire l’ambiance dans la salle, je dirais que l’inquiétude était le sentiment le mieux partagé. Le spectre de 2024 se dessine.
Le prix au kilo, qui habituellement démarrait en début de campagne entre 250 et 350 FCFA (compte tenu du taux d’humidité des noix) pour se stabiliser à 500-600 FCFA en fin de campagne (une fois séchées et triées), a été fixé par la rumeur — les réseaux sociaux aidant — entre 900 et 1200 FCFA le kilo, faute d’une organisation institutionnelle de la filière.
Une tare qui place le Sénégal en situation de pays le plus cher au monde pour la noix de cajou.
Déjà, dans la semaine du 25 avril 2025, le bulletin sur le marché de l’anacarde régional écrivait ceci :
« Au Sénégal, la campagne de commercialisation de la noix de cajou se poursuit avec une intensification progressive des échanges. L’approvisionnement des marchés est fort mais pas assez supérieur à la demande actuelle, ce qui continue de faire grimper les prix.
Dans la région de Sokone, la mise en marché se fait de manière régulière, ce qui contribue à une bonne disponibilité de la NCB. Néanmoins, la demande reste supérieure à l’offre.
Les chargements de camions se poursuivent depuis les zones de production vers les centres de stockage, en particulier vers le port de Sokone.
Cette semaine, les prix bord-champ ont atteint 675 FCFA/kg, en hausse de 25 FCFA/kg par rapport à la semaine précédente. Sur les marchés hebdomadaires de Sokone, Touba Mouride, Keur Samba Gueye et Touba Ndiguel, les ventes en gros s’effectuent entre 700 et 725 FCFA/kg.
En Casamance (Kolda, Sédhiou, Ziguinchor), l’offre est plus modérée. Les producteurs introduisent progressivement de petites quantités de NCB sur le marché, espérant profiter d’une hausse continue des prix. Cette stratégie crée un déséquilibre : la demande excède largement l’offre, ce qui maintient les prix à un niveau élevé.
À Sédhiou, Camaracounda, Tanaff et Mpack (frontière Guinée-Bissau), les prix bord-champ varient entre 625 et 650 FCFA/kg. À Ziguinchor, les prix dans les magasins avoisinent les 800 FCFA/kg, tandis qu’au port de la ville, ils atteignent entre 850 et 900 FCFA/kg.
Le taux de transformation au Sénégal n’excède pas les 5 %.
Au Nigeria, au Ghana, en Guinée-Bissau, au Togo, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et en Guinée, les prix se situent entre 350 et 550 FCFA. Les exportations sont estimées entre 45 et 85 %. Les volumes transformés entre 35 et 45 %.
Par ailleurs, de nouvelles mesures fiscales ont été annoncées :
• Une taxe de 32 FCFA/kg sera appliquée à l’exportation de noix de cajou brute, destinée à soutenir la transformation locale.
• Une prime de 150 FCFA/kg sera accordée pour chaque kilogramme d’amandes de cajou exporté, afin d’encourager la transformation et la montée en valeur de la filière. »
Je doute que ces mesures, quand bien même elles seraient les bienvenues, puissent encourager l’activité industrielle de transformation de l’anacarde au Sénégal.
Pour les brokers, la filière est extrêmement intéressante compte tenu de la qualité des noix produites pour la première récolte 2025 dans la zone, laquelle d’ailleurs est déjà bouclée. Il faut préciser, en passant, qu’aucune disposition institutionnelle n’a été prise, comme le traditionnel CRD de lancement de la campagne. Peut-être adviendra-t-il avant la deuxième récolte.
L’arrivée massive des traders chinois et indiens en Casamance depuis début mars montre à suffisance que d’autres sont plus attentifs à ce segment de notre économie.
Actuellement, ils chargent à tour de camions et préparent les expéditions par centaines de conteneurs pour l’Asie.
Tous les jours, ils s’affairent devant leurs innombrables hangars (plus d’un millier en Casamance entre Kolda et Ziguinchor).
Vous avez bien lu, ils ont acquis beaucoup de terrains et construit des hangars imposants, dont certains ont des capacités de plus de 1000 tonnes.
Ils font les investissements que nous n’avons pas pu réaliser. Ils ont un mode de financement des activités que nous n’avons pas.
Enfin, ils prient de tous leurs vœux que la filière se désorganise encore, et bien plus encore, surtout que tous nos voisins (Côte d’Ivoire, Bénin…) ont mis un frein au désordre dans la filière.
Nous, industriels sénégalais, risquons encore, et pour la deuxième année consécutive, de passer la main, faute de moyens.
Et quand bien même les moyens seraient disponibles, aucun compte d’exploitation ne résisterait à cette flambée du prix de la noix bord-champ, orchestrée et alimentée par ces lobbies asiatiques.
C’est donc avec impuissance que le Collectif des transformateurs du Sénégal note que les promesses tenues par notre ministère de tutelle n’ont pas été respectées, notamment la mise en place d’un quota de sécurité pour nous, transformateurs.
Il s’agissait de dégager quelque 10 000 tonnes que les entreprises achèteraient à un prix compris entre 500 et 600 FCFA le kilo, à défaut de suivre l’exemple du Bénin, qui consiste à bloquer les exportations pendant une période pour permettre aux unités de transformation de s’approvisionner.
Il est donc question pour les industriels du cajou de se prendre en main, pour qu’ensemble, nous essayions de sauver ce qui peut encore l’être.
Nous avons pris conscience que nous devrions nous battre, car aux prix actuels, nos produits transformés ne seront pas compétitifs.
Déjà, sur le marché, des produits transformés venant du Bénin sont proposés entre 4 500 et 5 000 FCFA le kilo. Un montant qui ne couvre pas nos charges de production d’un kilo d’amandes.
Pour les autres segments de la filière, notamment les transformateurs de la pomme, eux aussi se heurtent à des difficultés liées à l’accès au financement.
Les équipements permettant la mise sur le marché de produits compétitifs sont hors de portée des industriels.
De plus, compte tenu de la teneur en sucre des fruits, l’activité demande un certain nombre d’équipements indispensables (extracteurs, pasteurisateurs…) et surtout un dispositif de contrôle de toute la chaîne de production, d’où la nécessité de disposer dans la zone d’un laboratoire d’analyse.
Le chemin est long, mais nous avons foi en nous.
Le rêve est permis.
Les corollaires d’un tel schéma seraient le licenciement en masse pour éviter la disparition.
Xavier DIATTA, DG Casa Industries SA, Ziguinchor